De la cité balnéaire huppée de Biarritz au Hellfest,
Lucie Sue aura parcouru un chemin atypique. Même si elle a baigné dans la musique depuis son plus jeune âge, biberonnée à Rage Against
The Machine, Metallica ou Faith No More, rien ne la prédestinait à embrasser la vie d'artiste, entre sa carrière dans la mode et sa vie de famille. Et pourtant, en 2020, à la faveur de son divorce et juste après, du confinement, toutes les idées musicales accumulées ont refait surface et provoqué chez elle un changement radical. Cela a commencé par des covers sur le net, tout en composant des morceaux.
A l'aide de son frère, qui possède un studio d'enregistrement à Paris, elle a pu mettre en forme et concrétiser ses idées. C'est rien moins qu'un album de neuf titres qui été enregistré et mixé au Studio A18 à Paris par Baptiste Germser, Mako & Cyril, et Olivier Delescaille, et mastérisé par Blanka. Les prises batteries ont été effectuées par Franck Amand, Nicolas Carlier et Philippe Entressangle. Ce premier album autoproduit, "
To Sing in French", est paru le 1er février 2023.
C'est du rock au sens large que propose
Lucie Sue, portant l'héritage d'une Joan Jett,
Pat Benatar ou Chrissie Hynde, avec des arrières gouts des Doors,
Velvet Underground,
Iggy Pop ou
David Bowie. Mais c'est par le prisme du rock des années 90 que sa musique se diffuse, à la façon de
Garbage, L7, ou
Alice In Chains. Plutôt que de se caler dans une case rock générique au autre,
Lucie Sue navigue dans les entre deux, s'insinue dans les intervalles.
L'opener "Lick Your Teeth" plante un décor décadent et provocateur, vénéneux et sensuel, qui n'est pas sans rappeler
Garbage, qui avait rebattu les cartes de la pop et du rock dans les années 90. Il y a un mélange très Yin Yang du féminin et du masculin dans sa musique, à l'image de ce qui animait dans un autre style,
Jeff Buckley.
On trouve des ambiances soignées, comme sur le début pluvieux parsemé de guitares distantes de "Lean on Me" où plane l'ombre d'
Alice In Chains. Si elle a un style aisément reconnaissable, chaque morceau est différent dans son atmosphère ou son développement, ce qui fait qu'on attend la suite en se demandant dans quelle direction elle va bien pouvoir aller. Aussi, l'orchestration est riche et nuancée, par exemple, un violoncelle vient-il apporter de la douceur ou au contraire de la tension dans certains passages.
Sur un morceau plus ambiant comme "Shine on Avalon", où ce même violoncelle se fait pointilleux et menaçant, j'ai pensé des artistes comme
Tori Amos.
On a droit aussi à des titres plus directs comme "The Race", filant comme un gros cube sur une autoroute, ou à un petit bonbon caché : une cover très libre, limite méconnaissable du "Freedom" de George Michael, qu'elle s'est pleinement appropriée avec réussite.
L'instrumentation est riche et maîtrisée. La basse est rampante, parfois saturée ("Glorious"), et se retrouve souvent à l'avant-plan. On passe d'un instrument à l'autre, avec des compositions à la fois denses, courtes et aérées.
Le registre du chant de
Lucie est très large, depuis le chant parlé ("Lick Your Teeth", les timbres pop sucrés ("Glorious"), les envolées Trip hop/lyriques, et des cris rageurs jusqu'aux déraillements des screams (la fin de "
To Sing in French").
L'usage de la guitare est intéressant et malin, car elle parvient à donner beaucoup d'énergie et d'intensité sans avoir besoin de pousser les potars de la distortion ; la plupart des tones sont clairs ou crunch. Cela fait que l'ensemble passe particulièrement bien sans risquer de rebuter les oreilles fragiles, alors que sa musique est pour le moins sombre et intense.
La batterie est efficace, et se permet parfois de partir dans les toms tribaux ou des mesures asymétriques (la fin bateau ivre de "Lean on Me").
Ce qui surprend, c'est la maturité des compositions pour un premier album, où normalement un artiste essuie les plâtres et accumule les erreurs de jeunesse. Or aucune faute ne vient émailler le tableau de cet opus abouti. Ainsi, le choix de morceaux souvent courts, qui donne un album d'une longueur contenue (à peine trente minutes), est judicieux, évitant les errements et les longueurs. L'emballage de la production est impeccable, ce qui n'est pas donné d'avance vu la variété des éléments qui sont utilisés.
En 2020, sur un coup de culot,
Lucie Sue a postulé pour le poste de bassiste laissé vacant chez
Steel Panther, et s'est retrouvée en finale des auditions. Le graal est allé à un autre, mais en écoutant "
To Sing in French", je me dis que ça aurait été dommage de se contenter d'un rôle étriqué dans une grosse machine, alors qu'elle a tellement de choses à dire comme multi-instrumentiste et compositrice…
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