Comme à l’accoutumée chez The Fall, on a droit, dès l’introduction, au meilleur (des guitares grinçantes comme une machine rouillée) côtoyant le pire (un concert de voix débiles sorties d’une secte ou d’une réunion d’alcooliques), mais très vite, surprise : « Lay of the Land » s’impose avec un rythme rapide, une mélodie simple et efficace, de la distorsion, un Mark E. Smith qui prend soin de ne pas écraser les autres instruments de sa présence, et on atteint presque les six minutes sans les voir passer.
Mieux encore : « 2 x 4 » est dans la même lignée, malgré des interruptions qui enrichissent le morceau plus qu’elles ne le ralentissent. D’ailleurs, la guitariste / chanteuse Brix Smith s’y exprime tout autant que le leader. Le groupe aurait-il enfin compris ce que le public attend de l’agressivité d’un groupe de rock ?
Il faut supposer que c’est là le côté merveilleux de l’opus dont parle le titre, et que le côté effrayant va faire son entrée en scène sous la forme d’une posture artistique indigeste, qui n’intéresse personne (sauf quelques journalistes snob qui ne comprennent rien à la vie).
On le redoute en tout cas, mais « Copped It », aussi punk que bruyant, va dans le sens de l’homogénéité furieusement établie par les deux titres précédents. La brillante lancée du début se prolonge encore via « Elves », plus sombre, plus mystérieux voire mystique mais pas moins énergique, procurant à l’auditeur le plaisir de retrouver la mixité vocale homme / femme mieux exploitée ici que dans le précédent «
Perverted by Language ».
On a déjà atteint le quart de l’album. Pourvu que les douze titres restants comprennent le message. D’abord plus dépouillé au niveau instrumental, « Oh ! Brother » s’électrise davantage au gré de son développement, au service d’une mélodie très consonante, où les paroles du chanteur ne semblent avoir qu’un but salutaire, celui de se fondre dans le décor. Cette fois-ci serait-elle la bonne ?
En fait, les deux précédents albums étaient respectivement très bon et bon, cependant il semblerait que celui-ci n’ait pas besoin de se défoncer ici et là pour faire passer certains défauts, bénéficiant d’un meilleur sens de l’équilibre et de la répartition. La preuve, « Draygo’s Guilt », fort de ses accords simples et de sa batterie de plus en plus enfiévrée, respecte l’esprit des précédents morceaux, composé pour emporter tous les suffrages. La définition du hit ou de ce qui s’en rapproche le plus chez The Fall ? Le ténébreux « God-Box » s’en tient lui aussi à un rythme punk, tandis que la voix, toujours sur le fil entre le discours et le chant, assume avec éclat un texte primaire, brutal, efficace.
Plus lent, plus mélodieux, plus reposant, « Clear
Off ! » ne manque pas, pour autant, de s’en tenir à un cahier des charges privilégiant la musicalité pleine et entière de chaque chanson, démonstration d’une intelligence de leur parcours que les groupes, d’une manière générale, n’atteignent pas facilement, faute de savoir prendre le recul nécessaire par rapport à une réécoute globale de leurs productions.
En somme, si «
Perverted by Language » accusait une baisse de régime après «
Hex Enduction Hour », tout en introduisant les qualités du facteur pop qui manquaient à celui-ci, « The Wonderful and Frigthening World of The Fall » a le grand mérite, lui, de se concentrer sur le travail plutôt que sur l’ego, ce qui permet à la joyeuse bande de revenir, bien que d’une manière différente, à son meilleur niveau.
Justement très pop, « C.R.E.E.P. » valorise la voix de la chanteuse d’une façon jouissive, si bien que le duo apparaît sous son meilleur jour. « Pat-Trip Dispenser », par esprit de complémentarité, se montre moins accessible, tout en s’engageant, comme les autres chansons, dans une profusion de sonorités n’ayant que le rock pour mot d’ordre. «
Slang King » organise lui aussi une rencontre réussie entre la détermination du rythme et la recherche dont font preuve les mélodies instrumentales, tandis que Mark E. Smith reste égal à lui-même, attentif à ce que font les autres musiciens.
La lenteur inutile de « Bug Day » ne parvient pas à gâcher l’ambiance, pas plus que « Stephen Song » (qui rattrape le coup), « Craigness », « Disney’s Dream Debased » (agréable par son sens de l’harmonie et de la continuité), « No Bulbs » (un exemple magistral de synthèse pop rock, définitivement un classique).
D. H. T.
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