La seconde partie des années 60 (et plus particulièrement les deux années 1967 et 1968) fut placée sous le signe de la "révolution" psychédélique, avec la musique rock comme moyen d'expression artistique privilégié.
Ce mouvement, musicalement initié par le premier album des
13th Floor Elevators ("The Psychedelic Sounds of …", 1966) et les toiles guitaristiques imaginatives tissées par la Rickenbacker 12 cordes de Roger "Jim" McGuirre (
The Byrds), marque la rupture avec les schémas conventionnels du rock et les refrains faciles, en même temps que l'intégration de nouveaux paysages sonores, soit l'évolution vers une expression plus "artistique" s'éloignant du "divertissement" pop, une expression plus inspirée et moins calculée. De nombreuses formations issues d'outre-Atlantique (plus particulièrement en Californie) et d'outre-Manche vont alors s'y engouffrer :
Grateful Dead,
Jefferson Airplane,
Love,
Spirit,
Jimi Hendrix,
The Beatles (à partir de "
Revolver") et
Pink Floyd.
Formé en 1964 sur la base du trio
Roger Waters (basse, chant) / Richard Wright (claviers, chant) /
Nick Mason (batterie), qui officiait précédemment dans un "groupe" au nom variable (Sygma-6 / The Screaming Abdabs / The Abdabs / The Meggadeths / The Architectural Abdabs) et à l'orientation musicale fluctuante (entre jazz et rythm'n'blues), accompagné de Rado "Bob" Klose à la guitare, le groupe britannique
Pink Floyd ne démarre véritablement qu'avec l'arrivée de Roger "Syd" Barrett (chant, guitare) quelques mois plus tard.
Bien que "simplement invité" par Waters, Barrett prend très rapidement les rennes de la formation, lui donnant son nom définitif (assemblage des prénoms de Pink Anderson et Floyd Council, deux musiciens de blues que Barrett admirait) et définissant son orientation musicale, caractérisée par un son pop et psyché, entraînant par là-même le départ de Bob Klose, plus adepte des sonorités jazz et blues.
Le quintet n'aura été qu'éphémère, et c'est donc sous la forme d'un quatuor que
Pink Floyd prend son envol. Deux singles ("Arnold Layne" et "
See Emily Play") voient le jour début 1967, et le groupe va accoucher la même année de son premier album "
The Piper at the Gates of Dawn", l'un des symboles de l'explosion du mouvement rock psyché. Un mouvement et une œuvre qui n'auraient certainement pas eu la même coloration (auraient-ils existé d'ailleurs ?) sans l'action des psychotropes hallucinogènes (le LSD en première ligne) qui en furent les catalyseurs.
Dans "
The Piper at the Gates of Dawn", Barrett, principal compositeur de l'album et grand adepte des séances de trip sous acide, transcrit en musique les expériences vécues pendant ses états d'ivresse, ses "voyages", hallucinations en étroite relation avec ses goûts et obsessions, réservant moult sautes d'humeur imprévisibles et autres crises psychotiques.
Dès l'entame "Astronomy Domine", le ton est donné : celui de l'extravagance. Ce morceau illustrant l'attrait de Barrett pour l'astronomie démarre sur des effets d'électrocardiogramme qui s'emballe tandis qu'une voix déformée récite les noms de multitudes d'astres en fond, puis laisse la place à une pop acidulée remplie d'artifices de guitares sublimes et de basse pulsante avant d'être soudainement interrompu par un court break ambiant cosmique pour repartir ensuite sur le tempo précédent, avec tout au long de ce périple, la voix de Barrett donnant une sensation d'éloignement, comme si le personnage n'était que spectateur de ses propres illusions … le tout en à peine 4' 10", pur concentré d'une multitude d'arrangements sans construction réellement évidente, sans schéma préétabli, et d'images s'enchaînant au détour de coupures brutales ou en fondu enchaîné plus harmonieux, tout en restant en accord avec la mélodie, offrant une cohérence dans le délire.
Les autres morceaux de "
The Piper at the Gates of Dawn" continuent d'illustrer le pouvoir créatif de l'esprit de Barrett en totale roue libre projetant des ritournelles enfantines ("
Scarecrow" au tempo clopinant et "Bike" à chanter à tue-tête) et des rengaines folk ("Matilda Mother" enchanteur avec son final en chœur et orgue jouant une mélodie de râga indien, et "The Gnome", visions de scènes de contes de fées aux couleurs pastel éclatantes) aussi bien que des instants de sérénité et de béatitude éperdues (un "Chapter 24" qui tutoie les anges) et des ambiances de série noire ("Lucifer Sam").
Mais dans cet esprit en ébullition, le bad trip guette toujours, l'anxiété et l'angoisse ne sont jamais bien loin, comme le montrent les atmosphères passablement inquiétantes distillées au travers de l'introduction de "Flaming" (qui laisse ensuite la place à une atmosphère paisible et rêveuse, assemblage de sons acoustiques et de notes cristallines), la partie centrale du très étrange "Pow R. Toc H." (enchâssée dans une inénarrable ambiance de jungle tropicale peuplée d'effets de voix, cris et rires aussi saugrenus qu'apeurants) et la seconde moitié de "Bike" où se déclenche une phase bruitiste cérébralement déraillante s'achevant sur des coin-coin de canetons shootés (ou alors serait-ce un coucou radicalement déréglé, comme on pourrait le penser à la lecture du dernier thème des paroles).
L'esprit de Barrett habite cette œuvre et a nettement déteint sur ses compères au cours de la composition des morceaux, le "Take Up Thy Stethoscope and Walk" de Waters n'étant pas en reste, offrant un panaché de rythmiques saccadées et de déchaînements instrumentaux frénétiques, euphorisants, tel un déferlement d'adrénaline dans le corps. En témoignent également les deux instrumentaux créés en commun : "Pow R. Toc H." et surtout "
Interstellar Overdrive" : une épopée cosmique de quasiment 10 minutes qui sent bon l'improvisation et où l'on visualise parfaitement les différentes phases d'un trip astral, démarrant sur un rock assez classique pour partir ensuite progressivement dans des sphères interstellaires tandis que les arabesques synthétiques s'élèvent à n'en plus finir au rythme des pincements de cordes scintillants et de plans de batterie aussi palpitants qu'invraisemblables, jusqu'à la perte totale des repères spatio-temporels, avant que l'esprit ne revienne sur la bonne vieille Terre, encore embrouillé et confus, avec un retour au riff initial déformé par des effets de vagues ondulantes (l'écoute en conditions stéréo est particulièrement étonnante).
Chaque titre, véritable kaléidoscope dont chaque fragment de miroir reflète une sensibilité particulière, possède sa personnalité et s'imbrique à la perfection dans cette gigantesque fresque dessinée à la peinture acidulée qu'est "
The Piper at the Gates of Dawn".
Un titre choisi en référence au conte "The Wind in the Willows" (Le Vent dans les Saules) de Kenneth Grahame (son septième chapitre pour être précis), et le choix n'est pas anodin, car c'est également sous cet angle que peut être vu l'album : un conte fantasmagorique passé à la moulinette des psychotropes pour grand enfant schizophrène, impulsif, au cerveau théâtre d'un bouillonnement synaptique aussi intense qu'instable.
Mais telle une lame à double tranchant, ce qui fit l'originalité et la réussite de cet album en fit également la déchéance de son principal géniteur, car
Syd Barrett, qui supporte difficilement le succès du groupe et les tournées à répétition qui s'ensuivent, consomme des quantités de psychotropes toujours plus astronomiques, le cerveau transformé en serpillère imbibée d'acide, et ne parvient plus à assurer ni les répétitions ni les prestations live, qui le voient apparaître dans un état second et souvent quitter la scène de manière soudaine, laissant le reste du groupe dans des situations délicates.
Impossible de ne pas y voir un curieux (et involontaire ?) parallèle avec l'œuvre de Kenneth Grahame racontant l'histoire de Rat, Taupe et Blaireau coulant des jours heureux dans leur société miniature et pour lesquels tout irait bien dans le meilleur des mondes si leur ami Crapaud ne se comportait pas comme un voyou et ne s'attirait pas constamment des ennuis.
Barrett est devenu incontrôlable et
David Gilmour, ami de Waters, est appelé à la rescousse pour palier ses absences. Barrett est un temps conservé en vue de la préparation du prochain album "
A Saucerful of Secrets" et
Pink Floyd devient une nouvelle fois un quintet, mais pour une nouvelle fois de manière éphémère, car le comportement toujours plus instable de Barrett conduira à son exclusion irrémédiable, tandis que Gilmour, au départ engagé en "simple renfort", occupera définitivement le poste de guitariste/chanteur.
Une seule des compositions de Barrett sera conservée pour ce second album ("Jugband Blues") et après une très courte et discrète carrière solo, il finira sa vie de manière tout aussi discrète, auprès de sa famille dans la banlieue de Cambridge qui l'a vu naître.
Le "Diamant Fou" aura brillé de mille feux au cours des deux années pendant lesquelles il aura fait partie des Floyd, et son influence imprégnera encore quelques années la musique du groupe, les relents psyché se faisant encore sentir jusqu'à "
Meddle", cette coloration disparaissant peu à peu tandis que Waters prend progressivement les commandes, jusqu'à phagocyter le travail compositionnel des Floyd, et que leur musique évolue au fur et à mesure vers des sphères progressives.
Le "Diamant Fou" s'en est allé mais son éclat continuera de briller au travers de ce chef-d'œuvre intemporel qu'est "
The Piper at the Gates of Dawn". L'éclat d'un artiste capable de créer des merveilles, mais en proie à ses dépendances, ses démons qui ont fini par avoir raison de sa carrière musicale. L'éclat d'une légende à laquelle un hommage sera rendu par le groupe lui-même avec le morceau "
Shine On You crazy Diamond", ainsi que "
Wish You Were Here" apparaissant sur l'album du même nom.
R.I.P. Syd
(Une dernière pensée également pour le très discret Richard Wright, qui s'est éteint il y a peu, et dont le rôle, pourtant essentiel dans le "son
Wish You Were Here", fut très souvent et injustement mésestimé - R.I.P. Rick)
Concernant cet album par contre, j'avoue être super -hermétique à ces comptines psyché et aux délires Barrett. Un album important historiquement évidement, mais que je trouve franchement pompant, faute de pouvoir comprendre l'esprit qui y règne. Je préfère Saucerful of secrets, plus varié, avec une touche prog qui s'installe doucement, du psyché qui me parle davantage ( titre éponyme ), enfin tout y est. celui-là, atom, meddle, animals et de temps en temps le duo dark side - wish you, ces disques signés waters pour la plupart et qui représentent le sommet de PF.
Enfin, ce qui est bien chez ce groupe c'est qu'il y en a pour tous les goûts. Du psyché britannique à la grosse machine prog signée alan parson ( sans parler de la pop qui serait insultant pour les fans du mur lol ).
Point positif : J'adore le jeu de Barrett, bien halluciné.
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