On voit régulièrement dans le milieu rock ou même du metal des nouveaux groupes formés sur un rassemblement de musiciens déjà connus, que ce soit pour un duo ou ce qu'on appelle communément un super-groupe. Soyons lucides, des velléités financières sont souvent présentes derrière ce qu'on nous montre comme l'alliance de plusieurs talents au service d'un chef d’œuvre sur-vendu. Pourtant, quelque fois, on peut tomber sur des rassemblements dont l'objectif est purement artistique, où deux talents parviennent réellement à en faire émerger un troisième. La maison de disque britannique KScope (qui héberge entre autres Anathema,
Porcupine Tree et
Ian Anderson) est réputée pour son attitude anti-commerciale, et la grande liberté accordée aux groupes de son écurie ; c'est probablement le meilleur endroit qu'aurait pu choisir le duo nouvellement formé Se Delan pour s'épanouir.
Se Delan est la réunion de Justin Greaves, multi-instrumentiste anglais du milieu sludge/psychédélique (fondateur de
Crippled Black Phoenix), et de la chanteuse suédoise Belinda Kordic, hippie dans l'âme, et chantant sous le pseudonyme de Killing Mood. En avril 2014 tombe le premier fruit de ce duo, intitulé
The Fall, et illustré d'une pochette qui semble incompréhensible sans avoir recours aux herbes qui font rire. Il suffit d'ajouter ça à un vidéo-clip entre l'étrange, l'absurde et le fantastique, sur un morceau calme voire mystique, et vous avez un aperçu de l'ambiance.
Comme tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, l'album s'ouvre sur un morceau de trois minutes dénommé Intro, dans un grand souci d'originalité. Des arrangements typés folk/rock psyché nous sont dévoilés, les mêmes qui nous enchanterons tout le long de l'opus, alternés avec des mystérieux murmures. Chasing Changes prend le relais, sur une rythmique tribale et des accords groovy. Se pose par-dessus la voix de velours de Belinda : les mélodies sont ici délicates, subtiles, les émotions à fleur de peau. Le rythme lancinant suit son cours, tandis que la fin du titre monte en puissance, suivant le schéma assez classique du rock atmosphérique. Globalement, tous les titres ont leur identité distincte, si bien qu'on les retient facilement sans s'en lasser tout de suite. On My Way vous emmènera vers des contrées plus Rock, avec de magnifiques mouvements aériens et grisants. Laissez-vous vous enfoncer dans la douce torpeur de Little One, pour mieux revoir la lumière sur le superbe diptyque Today-Tonight, très riche musicalement et vocalement. Les deux morceaux précédemment cités forment une suite remarquable aussi pour le fait assez extraordinaire d'être indissociables et en même temps de s'opposer entièrement dans les tonalités : du grand art.
Besoin de la fraîcheur de l'air marin ? Beneath the Sea vous y transporte dans une ambiance intimiste et hypnotique, sur une rythmique chaloupée que vous n'oublierez pas de sitôt. De retour à la surface, n'hésitez pas à prendre de la hauteur, avec The Hunt, bien plus orienté stoner/metal, avec incorporation de bruitages et voix humaines déformées. Étrange parenthèse au milieu de l'album, mais pas déplaisant non plus à la longue. La rêverie éveillée se termine sur un Lost Never Found fantomatique aux paroles murmurées peu rassurantes. On croirait communiquer avec l'esprit d'une vieille dame lors d'une séance de spiritisme : effet garanti. Des nappes brumeuses de violon nous enveloppent alors pour nous extraire des tréfonds d'émotions que l'on aurait jamais imaginées si denses et si sincères.
Même après plusieurs écoutes, difficile de placer ce disque dans un style précis. Impossible même. On discerne bien les influences d'un rock psychédélique un brin shamanique à la
Crippled Black Phoenix avec les touches atmosphériques d'un Anathema moins grandiose, saupoudré d'un folk léger et subtilement progressif à la
Leafblade. Cependant, sans jamais partir de quelque chose de foncièrement nouveau, Se Delan se crée instantanément sa patte, sa propre empreinte. C'est cela, Se Delan c'est une musique plus simple que
Leafblade, plus intimiste qu'Anathema, et plus féminine que
Crippled Black Phoenix. Cette entité personnelle doit beaucoup à ses deux créateurs qui ont chacun mis à égalité leurs touches, pour un produit réellement fusionnel. De plus, l'ensemble musical est parfaitement mis en valeur par un jeu beaucoup plus fin que d'habitude, si j'ose le mot sensuel. De même pour la production, très claire, qui met l'impact sur les sonorités les plus émotionnelles.
Rares sont les duos d'artistes où la fusion et l'hybridation sont aussi réussies. On sent une parfaite complicité entre les deux acteurs, qui ne se sont pas donnés de limites ni de restrictions. Ceci avec le soutien total d'un label qui privilégie la libre création et encourage les artistes à chercher plus loin des nouvelles sonorités. C'est en partie un tel cadre qui permet la création d'un art réel et volontairement non délimité. Se Delan n'est pas le projet d'un album, mais continuera tant que la complicité dure. Espérons qu'ils oseront aller encore plus au-delà de ce qu'ils savent faire, pour que de leurs deux talents en naisse un unique et formidable.
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