En 1965, un film Yougoslave nommé « L’Homme n’est pas un oiseau » traita pêle-mêle de manipulation dans un système Communiste prôné comme idéal alors que certains n’étaient pas si dupe que cela, de machisme exacerbé, de femmes révoltées contre le diktat masculin tandis que d’autres jouent les manipulatrices avec talent. Le rapport avec l’article qui nous intéresse aujourd’hui ? Le nom, déjà. Le contenu ? Avec un peu d’imagination, pourquoi ne pas se dire que la volonté de liberté dans le film de Dusan Makavejev n’est pas une parabole amenant à la volonté de liberté de ce quatuor parisien ? Ou alors, peut-être que ceci me sert à remplir une introduction que je n’ai point trouvée…
Man Is Not A Bird donc. Comme dit ci-dessus, il s’agit donc de quatre franciliens dont la musique sera un savant mélange de l’aura atmosphérique du Post-Rock et du Shoegaze couplé au dynamisme et à la technicité du Math-Rock. Bien avant la sortie de cet album, le groupe a déjà expérimenté moultes de ces titres sur scènes, l’essence scénique des musiciens leur permettant de se tailler une solide réputation alors même qu’aucun des titres ne pouvait être écouté dans une version studio. On retrouve bien un titre unique baptisé tout simplement «
Ø », un EP «
Restlessness » et un split avec Puzzle. Mais il faudra toute la contribution d’une campagne de Crowdfunding rondement mené avec succès pour que ce «
Survived the Great Flood » puisse voir le jour.
Du DIY au studio The Office/The Artist de la banlieue Parisienne, l’effet d’une masterisation plus professionnelle se fait sentir dès l’entame de l’album. « Troglodyte » vous accrochera ou vous rebutera, mais il y a fort à parier que cette piste vous conditionnera pour le reste de l’album. Dans une discrétion progressive, les instruments mettent au final peu de temps à véritablement exploser, révélant un univers où se côtoieront avec harmonie puissance saccadée et ambiance sautillante, atmosphère chaleureuse et éclat de froideur soudain. Rien que cette première phase ira jusqu’à distiller une double précise et redoutable.
«
Survived the Great Flood » n’est pas un disque très compliqué à écouter, bien plus simple que ne peuvent laisser les expressions Post-Math-Shoegaze-Rock le penser. Le simple fait qu’aucune piste ne dépassera les cinq minutes est un révélateur certain du message que veux transmettre le groupe : de l’atmosphérique, oui. Mais des ambiances à rallonges, non. Par conséquent, il ne sera guère surprenant au final de découvrir un «
Survived the Great Flood »-titre plus court et tapageur. On rentre vite dans une ambiance plus pop-rock où les passages plus massifs côtoient quelques instants de grâce aérienne étonnamment bien emmené, au-delà de paraître surprenant. Dans le même registre de titre très direct, « Troy » fait son œuvre de batterie qui tabasse en soutien d’une basse excellemment groovy et de toujours plus de mélodie.
Comme vous l’avez déjà sans doute deviné en arrivant jusqu’à ces lignes, MINAB fait donc de la musique instrumentale. En grande partie tout du moins, car le groupe se permet quelques passages chantés lors de courtes incursions comme sur l’excellente « Explorer ». Ne vous fiez pas à cette lourdeur implacable des instruments sur l’introduction, le reste de la piste est nettement plus dansant, bien emmené par les chœurs des musiciens, qui ne s’empêcheront aucunement de petites lignes de chant sur ce génialissime break de basse, me permettant d’ailleurs de relever le travail impeccable fait sur la quatre-corde. Précise et imparable, elle donnera un cachet certain à la musique, lui permettant d’apposer un doux effet gras et étouffant sur la mélodie, comme un nuage masquant les velléités ensoleillées de certains riffs mélodiques. On retrouve également de la voix sur « D.I.P », titre un peu à part puisqu’enregistré après l’album, justifiant peut-être le fait que je ne l’ai pas reçu dans ma version digitale. Profondément Shoegaze, c’est Valentin qui se charge du chant ici. Un chant doux et lointain, mélancolique à souhait, tout comme l’ambiance globale du morceau…
Mais quitte à parler de chant sur du Shoegaze, il faut évidemment citer « Running Endlessly ». Le démarrage n’est guère inspirant sur son atmosphère directe, mais la suite vaut largement le détour. Emmené de la voix aérienne et sublime d’Alexandra Morte (ex-Whirr), l’instrumentation ambiante et intense captive alors même que l’on sent la progression lente du futur redémarrage redonnant pleine mesure à l’explosivité mélancolique du groupe. Pour rester sur les voix, « Tendresse » en compte une, récitant différent terme ou adjectifs. Ce texte est présent dans le film « À Bout de Souffle » de Jean-Luc Goddard et avec Jean-Paul Belmondo. Musicalement, ce titre plus relaxant prendra son temps pour se développer. Une basse en ambiance et des notes éparses dans un premier temps jusqu’à une explosion déployant des ailes de mélancolie débordante de vie et de passion. Et citons enfin, pour rester dans la douceur, l’interlude « Yugen », plus électronique avant de partir pour un récital de Rock atmosphérique comme de bien entendue.
De l’électronique, il y en a d’ailleurs un brin pour introduire « Symphony », qui se révélera d’ailleurs être à mon sens l’une des meilleures pistes de l’album. Dominé par une basse lourde et technique, tout ce titre suintera la maitrise décomplexée tant tout sera carré, parsemé d’accélération très judicieuse. Les deux guitares se complèteront dans toutes leurs mesures mélodiques et dansantes, aux nombreux instants de grâce, se tournant autour et se retrouvant avec justesse et émotion. Mais il est déjà tant de fermer la page et d’atterrir enfin puisque nous ne sommes effectivement pas des oiseaux… « Change of Scenery », très nature, ambiante, minimaliste avant d’enchaîner rapidement pour « Paradisea Apoda ». Quelques notes, une voix nasillarde en fond qui nous appellent… Les plans musicaux se succèdent à intervalles réguliers, de manière très lente, s’étoffant ici où là de quelques touches succinctes de mélodies, de forces, de résonance, de voix discrètes jusqu’au dernier souffle …
Pour le dire de manière très direct, «
Survived the Great Flood » est un très bon album. Le problème tiendra de son format plus que de son contenu en fait… Comme beaucoup de disque qui misent sur l’instrumental en clé de voûte, il y a toujours une déconcentration qui interviendra à un moment. C’est peut-être pourtant pour éviter cela que le groupe n’a misé que sur des titres format « chanson ». Mais à contrario, le fait que les titres soient dans leurs ensembles relativement courts poussera le groupe à nous laisser en quelque sorte sur notre faim lors d’instants beaucoup trop brefs ou trop formatés pour nous immerger entièrement dans leur monde… Autant abrupte que tranquille, sauvage et délicat à la fois, très difficile au fond de trouver un véritable juste milieu à la première œuvre du quatuor. C’est peut-être au fond ce qu’ont voulus faire les musiciens. Avant tout groupe de live que de studio, il ne convient finalement qu’à partir sur les planches pour voir si le vol en aller simple en vaut la peine. Mais il n’y a pas de doute à avoir là-dessus, j’en suis persuadé.
[Il y a du bonus ! Trois titres. « Awakening of Ideas », ambiance lourde, plus lente, un peu lassante à vraie dire, même si les passages mélodiques méritent tout de même le coup d’oreille. « Desire to Escape Problems », réenregistrement somptueux d’un titre de l’EP «
Restlessness ». La nouvelle production donne une âme encore plus forte au tout. Les passages lent et ambiancé sont encore plus touchants, les passages puissants sont plus torturés que jamais… Un titre tout simplement parfait. « Shiver », mi-acoustique, mi-électrique avec une forte ambiance électronique. Un titre très court, pas grand-chose à en rajouter…]
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