2003 est une année charnière pour
Placebo : en effet, la parution de leur quatrième album intitulé «
Sleeping with Ghosts » marque un tournant dans la carrière du groupe. Alors que les trois premiers opus étaient sortis chacun à deux ans d'intervalle, le groupe a mis un peu plus de temps pour livrer celui-ci mais le résultat est à la hauteur de l'attente : en commençant par un titre d'album poétique et un livret sublimé par les photographies de Jean-Baptiste Mondino, avec cette couverture où un couple essaye de s'enlacer. Si le jeune homme est bel et bien réel, la femme elle, est transparente et nue tel un fantôme, illustrant parfaitement le titre. Le rendu musical, lui, consacre définitivement le groupe auprès du grand public avec son album le plus électro.
Produit par Jim Abiss (Artic Monkeys, Adele et
Kasabian entre autres), l'opus est le seul à être entièrement numérique. Il s'en dégage du coup une atmosphère particulière, à la fois très aérienne et épurée pour des titres comme « English Summer Rain », «
Special Needs » ou encore «
Sleeping with Ghosts » où Brian fait usage de résonances vocales en background, mais cette ambiance peut aussi être plus pesante, presque malsaine dans « Something Rotten » et « Protect Me From What I Want » qui rend bien le côté désabusé. Avec cette ambiance à laquelle le groupe ne nous avait pas habitués, on pourrait croire que les textes se sont aussi allégés de leur noirceur mais pas vraiment, le fond reste semblable à la tradition textuelle de Brian (j'y reviendrais plus tard).
Le son est un peu plus poli que dans les opus précédents mais il reste tout de même assez grinçant. L'album est marqué par un fort dynamisme dont le titre d'ouverture, « Bulletproof Cupid », instrumental aux guitares furieuses est le meilleur représentant. (Il y aurait eu des paroles au départ mais elles auraient finalement été ôtées). « Plasticine », «
The Bitter End » et « Second Sight » participent de la même énergie, la même fureur guitaristique qui démontre que le groupe n'a rien perdu de sa rage des débuts même si elle est plus maîtrisée et donc un peu moins spontanée. « Centerfolds » semble être la chanson la moins électro, la plus « naturelle » avec le moins d'effets. Ce qui en fait un titre un peu à part dans l'opus, presque une sorte d'OVNI.
Certaines chansons ont été enregistrées en plusieurs versions avant de choisir celle qui figurerait sur le disque final. Ainsi, il existe une interprétation lente et douce de « Plasticine » (disponible dans le maxi CD de «
Special Needs ») qui était la première à devoir figurer sur l'album, finalement une version plus rock a été retenue. À l'inverse une interprétation plus dynamique de «
Sleeping with Ghosts » renommée « Soulmates », souvent jouée en live et qui figure sur le maxi CD de «
This Picture », ne sera pas retenue sur l'album final. La batterie y est beaucoup plus présente, la guitare s'emballe, on est ici plus proche de l'esprit
Placebo des débuts.
Pour ce qui est des textes, quelques petits changements sont visibles. Si on retrouve quelques caractéristiques d'albums précédents comme le mantra (« English Summer Rain »), la mélancolie («
Sleeping with Ghosts ») ou encore le thème de la séparation («
The Bitter End » et sa fin à la rythmique accélérée et presque hurlée par Brian, ou « Protect Me From What I Want »), les paroles sont moins provocantes, plus directes. « Plasticine » traite de l'estime de soi, de ne pas être ce que les autres attendent de nous mais assumer sa personnalité telle qu'elle est. « I'll Be Yours » est une chanson ambiguë, à la fois belle et inquiétante au niveau des paroles, on peut y voir une preuve d'amour mais on y retrouve également le thème de la possession, de l'étouffement affectif.
Pour ceux qui ont la chance de posséder l'édition 2 CD, l'album se termine par une version de « Protect Me From Want I Want » en français adaptée par la romancière Virginie Despentes, plus un CD bonus de reprises (ressorti plus tard par la maison de disque sous le nom de
Covers). À ce titre, il est intéressant de faire une petite comparaison entre les deux versions de « Protect Me From What I Want » : Si l'harmonica grince dans les deux versions, « Protège-moi » finit en apothéose avec des canons de voix de Brian (arrière-plan en chant torturé et presque hurlé) ce qui donne un caractère plus poignant à la chanson, alors que la version anglophone reste du coup plus sage. Les paroles, elles, restent assez semblables.
Premier grand virage dans la carrière de
Placebo,
Sleeping with Ghosts réussit le mariage du rock et de l'électro. L'opus est à la fois assez facile d'accès pour les néophytes, et représentatif de la carrière d'un groupe qui aime introduire quelques changements tout en gardant ce qui fait sa force et son identité.
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