Savages c’est animal. Savages c’est schnock. Savages c’est moche. Savages ne prend pas de douches. Savages a des poils sous les bras. Savages va te mettre une branlée.
Savages n’a pas de secret.
Il n’y a ni pose ni mensonge dans la démarche de ce groupe londonien exclusivement féminin, comme le lointain écho d’un The Raincoats ayant fait ses classes avec
Joy Division et
Killing Joke. Dès le premier coup d’œil à l’artwork d’un noir et blanc austère qui rappelle le Colossal Youth de Young Marble Giants on sait à quoi s’en tenir : une basse froidement syncopée, une guitare noisy, une batterie martiale et un chant qui éructe des sommations. Rien de bien nouveau, d’autres sont passés avant. Et même le projet du groupe – exposé sur la pochette – qui consiste à déconstruire pour partir sur de nouvelles bases a déjà été exploré, notamment par l’underground new-yorkais « jusqu’au-boutiste » des 80’s qui gravitait autour des figures de
Sonic Youth, Lydia Lunch et Richard Kern.
Et pourtant, le message de Savages sonne étrangement actuel car, si les préoccupations des avant-gardes post-punk/no-wave citées précédemment étaient d’ordres sociales et esthétiques, chez Savages elles prennent une teinte personnelle dans le sens où, dans notre société noyée de pollutions sonores et autres stimuli conformistes et mercantiles, elles nous exhortent à (ré-)apprendre la solitude et le silence pour nous affirmer et nous reconstruire.
C’est donc tout naturellement que la lucidité pragmatique et engagée des londoniennes trouve son expression dans un post-punk aussi bancal qu’expéditif et, pour bien donner le ton, c’est un "Shut Up" gonflé à bloc qui ouvre un album aux sonorités plutôt sombres, pour ne pas dire gothiques. Un premier titre qui démontre que le post-punk du quatuor est beaucoup, beaucoup plus qu’un simple exercice de style respectueux de la tradition mais bien un concentré de rock cathartique et de lapidations punks. La basse menaçante de Ayse Hassan gronde d’un bout à l’autre de l’opus tandis que la guitare de Gemma Thompson, entre deux larsens et/ou autres bruits incongrus, entretient une tension sauvage, presque vicieuse, digne de
Gang Of Four et dont le titre "Hit Me" en est le paroxysme. Ce dernier morceau expose d’ailleurs bien la recette du groupe : l’uppercut. Et des uppercuts Jehnny Beth en a en réserve avec son chant qui renoue avec une certaine forme de théâtralité à la Siouxsie Sioux et la force de frappe viscérale de
Patti Smith.
Bien malin celui qui saura dire ce que le temps retiendra de ce
Silence Yourself… En revanche ce qui est sûr c’est qu’il est le genre de bombe incendiaire cinglante et nécessaire pour secouer le rock et le réveiller de son autosatisfaction latente. Avec ce premier opus aux allures de miracle inespéré, Savages réouvre une porte restée fermée trop longtemps et, pour paraphraser John Lydon au sujet des Raincoats : « Le Rock[’n’Roll] c’est de la merde… la musique a atteint un niveau historiquement bas - sauf pour Savages ». Qu’on se le dise !
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