C'est 2 mois après le décès de Jeff, et 3 semaines avant ce qui aurait dû être son 42ème anniversaire, que sort ce "
Mess Of Blues", premier album blues du génie non voyant depuis 6 ans. Mélange de titres live et studios, cet opus ne doit pas être considéré comme une opération commerciale visant à faire fructifier quelques comptes en banque en profitant de la disparition du désormais légendaire canadien. En effet, sa parution était déjà planifiée, même si le format a dû être revu et adapté en raison de cet évènement tragique. C'est ainsi que ce recueil de reprises a été enregistré au studio 92 (6 titres), et live à la Islington Academy de Londres (2 titres) et au club de Jeff, le
Jeff Healey's Roadhouse (2 titres).
Si nous aurions préféré profiter de ce retour dans des conditions plus joyeuses, le fait est que de retrouver un Jeff bluesy est un moment jouissif, d'autant qu'il est ici entouré d'une équipe à la fois fidèle et talentueuse, l'accompagnant depuis la fin de ses aventures jazzy. Si le format des reprises peut se révéler parfois frustrant, ce n'est pas le cas ici, surtout si l'on se réfère à l'expérience relativement ratée de "
Cover to Cover" (1995) sur lequel Healey avait été sérieusement lâché par des musiciens en mode automatique. Ici, il bénéficie en particulier du soutien d'un Dave Murphy dont les claviers apportent une chaleur supplémentaire à chaque titre et dont les soli viennent pousser le maitre des lieux dans ses derniers retranchements. Que cela soit derrière l'orgue Hammond ("How Blues
Can You Get") ou le piano bastringue ("Jambalaya"), et même en prenant le micro ("It's Only Money"), le claviériste est la principale découverte de cet opus.
Le reste de l'équipe voit également émerger le bassiste Alec Fraser qui s'empare du chant sur "Jambalaya" et assure une rythmique à la fois épaisse et dynamique en compagnie du batteur Al Webster. De son côté, le guitariste Dan Noordermeer a un peu plus de mal à exister dans l'ombre d'un leader charismatique qui lui laisse cependant quelques occasions de briller sur certains soli.
S'il n'est pas forcément nécessaire de rentrer dans le détail de titres déjà rendus célèbres par leurs créateurs ou par certaines interprétations légendaires, il est cependant amusant de constater que
Jeff Healey peut aussi bien se montrer respectueux des originaux ("
Mess Of Blues") que se les approprier de façon plus personnelle, comme sur la ballade pop-rock mid-tempo "Like A Hurricane" de
Neil Young qu'il étoffe d'un son de guitare à la fois épais et grésillant qui contribue à un ensemble plus musclé qu'initialement. Nous retiendrons également la puissante claque administrée par "I'm Torn Down" en ouverture d'album, le rock de "The Weight" sur lequel Jeff et son équipe nous offre une interprétation digne des grands espaces, la version survitaminée de "It's Only Money", et le feeling dégorgeant de chaque note du blues dépouillé "Sittin' On The Top Of The World", titre dépoussiéré des années 30 et enrichi d'une jam voyant les différents instruments alterner les soli.
Il est donc difficile de savoir quel sentiment l'emporte après l'écoute de ces 10 titres: l'enthousiasme d'avoir pu profiter d'un album d'une qualité supérieure, ou la tristesse de savoir que cet artiste de génie ne nous offrira plus rien dans le futur. Il est fort probable que l'industrie musicale continuera de nous sortir quelques recueils live et autres inédits, mais ceux-ci seront désormais encombrés de l'adjectif 'posthume', alors que les talents artistiques n'étaient pas les seules qualités qui rendaient aussi attachant un homme dont l'authenticité, l'honnêteté et la spontanéité nous manqueront. Que cela ne vous empêche pas de profiter de cet album réunissant toutes ces qualités au sein de 10 morceaux légendaires illuminés par la guitare et la voix de ce personnage unique.
Merci à toi Loloceltic pour cette nouvelle découverte (de l'artiste hein, pas des titres) !
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire