Autant le dire tout de suite, ceci est la chronique d’un come-back raté (car bien faire n’est pas assez quand on a été parfait ; les
Yo La Tengo furent plus convaincants la même année), aussi commence-t-elle par quelques points positifs. Bien entendu, il serait inexact ou réducteur de prétendre que «
MBV » est un album qui a demandé à lui seul plus de vingt ans de travail. On sait que l’histoire du groupe est plus compliquée.
Parmi les nombreuses raisons qui expliquent la longue absence de
My Bloody Valentine consécutive à «
Loveless », il y en a une en particulier qui doit retenir l’attention dans le cadre de l’écoute : il n’est jamais facile de donner suite à un chef d’œuvre. Si le groupe avait entrepris un retour spectaculaire et fracassant, on aurait tout de suite interprété ce retour comme le résultat d’une volonté de rivaliser avec «
Loveless ». Par ailleurs, on a déjà eu l’occasion d’évoquer la notion de continuum sonore à propos d’ « Isn’t Anything ». C’est davantage le parti pris de «
MBV », qui va plus loin encore dans ce sens.
Album qui interpelle par le côté touchant de sa fragilité même, ce troisième opus, résolument marqué par la douceur de Bilinda Butcher dans ses moments les plus poétiques (bien qu’entièrement signé par Kevin Shields), reste fidèle non seulement à l’esprit du groupe, mais aussi à celui de la trilogie en général : après une entrée en matière alliant l’énergie et la subtilité (« Isn’t Anything »), suivie d’une apothéose cataclysmique à l’échelle de l’histoire du rock («
Loveless »), l’épilogue qui s’imposait bien plus tard («
MBV ») donnerait libre cours à la légèreté, à la somnolence, à la relaxation ludique, au plaisir du moindre effort et, pourquoi pas, à une preuve d’humilité face à ce que fut la formation au sommet de sa gloire.
Contrairement au Velvet Underground qui, en son temps, avait réussi à aligner deux chefs d’œuvre en s’investissant à fond dans deux directions différentes (la pop bruitiste de l’album avec
Nico, suivie de la violence protopunk de «
White Light /
White Heat »),
My Bloody Valentine avait déjà atteint le maximum de ses possibilités au bout de sa pièce maîtresse. Ils auraient pu s’arrêter à ce stade afin d’éviter d’engendrer une déception car, malgré les qualités que notre curiosité en éveil peut lui trouver, il est vrai que «
MBV » est quand même une déception, et le devoir d’objectivité incitant à le reconnaître avec honnêteté nous concerne au premier plan si
My Bloody Valentine fait partie de nos groupes préférés.
On a dit que leur esprit était respecté, c’est effectivement le cas si l’on prend en compte la nébuleuse sonore qui se nourrit d’électricité, de sons étranges, de déchaînements rythmiques et de voix harmonieuses, cependant l’esprit évolue parfois dans le bon sens et aurait mieux fait, en l’occurrence, de passer à autre chose plutôt que de se cramponner à d’anciennes formules, dont la part de merveilleux subsiste à l’état de flamme de bougie, longtemps après le feu de joie.
Il aurait fallu préserver cette flamme dans l’intimité du souvenir, tout en osant aborder d’autres territoires : pourquoi pas un disque folk aux mélodies vocales et guitaristiques hyper-travaillées ou, au contraire, une avancée dans le metal extrême ? En somme, on peut respecter l’esprit d’une démarche de façon partielle et sans être pour autant au meilleur de sa forme, car l’esprit de
My Bloody Valentine, c’était aussi l’audace et l’ambition. Ce projet manque des deux. Les moins indulgents diront qu’ils auraient mieux fait de rester chez eux mais, sans pour autant l’exprimer aussi brutalement, ce n’est pas entièrement faux.
Certes, le flottement de « She Found
Now » ou de « Who Sees You » n’est pas inintéressant ; on peut en dire autant du mysticisme d’ « Is This and Yes », des caresses vocales de Bilinda sur « If I Am », des allusions au hip-hop soul dont témoigne « New You », du martèlement tribal de «
Nothing Is », de l’efficacité d’ « Only Tomorrow » et d’une richesse sonore qui survit malgré tout dans chacun des neuf titres, toutefois les instruments, dans l’ensemble, ne sont pas assez exploités et c’est dommage. Quant à la composition, elle accuse certaines facilités, voire un manque d’imagination (en matière de pop féminine éthérée, que l’on se réfère, par exemple, à l’album « Into the Waves » de Sophia Knapp sorti en 2012). C’est donc l’occasion de dire adieu à ce groupe, tout en le remerciant, surtout, pour ses deux premiers albums ainsi que pour ses EPs. Les meilleures choses ont une fin.
D. H. T.
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