Il fût un temps où on puisait volontiers l'inspiration dans les thèmes spirituels. Birdstone y a trouvé le fil conducteur de ses albums, ainsi leur patronyme fait-il référence à de petites statuettes d'oiseaux mises dans les tombes des défunts chez certains peuples amérindiens. A penser autant leur art avec la tête, on pourrait craindre qu'ils n'en oublient la musique : "
Loss" prouve que l'un n'empêche pas l'autre, bien au contraire.
La musique du trio prend ses racines dans le blues, le psychédélique de la fin des sixties et la lourdeur zeppelinnienne du début des années 70, mais pas dans le sens traditionnel du terme. Formé en 2015 autour du guitariste chanteur Basile Chevalier-Coudrain, d'Edwige Thirion à la basse et de Léo Gaufreteau à la batterie, le groupe a sorti l'EP "
The Cage" en 2017, suivi d'un premier album "
Seer" sur lequel il a vraiment pris sa couleur et une personnalité déjà bien affirmée, en s'alourdissant par moments de doom et de stoner. Ce premier disque était aussi le point de départ de l'histoire d'un prophète, qui se poursuit avec celle de sa fille spirituelle sur "
Loss".
Leur deuxième LP a été enregistré en autoproduction, dès 2019, se terminant quelques jours avant le premier confinement de 2020. Les prises ont été faites principalement dans les conditions du live, les dernières avec le batteur Léo avant l'arrivée de son remplaçant Benjamin. L'enregistrement a été réalisé par Jean-Baptiste Deucher et Etienne Clauzel, mixé par Jean-Baptiste Deucher au Black Box Studio, et masterisé par Thibaut Chaumont au studio Deviant Lab (Poitiers).
Le format est sur le papier identique à celui de "
Seer", avec toujours un artwork aux réminiscences Art Nouveau de Vaderetro (Tours), et sept titres assez longs, atteignant les huit minutes sur la dernière piste. Cependant les genres musicaux sont moins identifiables et séparés, la coloration blues, par exemple était bien plus franche sur l'album précédent. Même sur un titre comme "Golden Veil", entre blues et americana, on a pas l'impression de se trouver en terrain trop connu, et le groupe arrive à vous perdre avec un break aux arpèges d'une nostalgie amère.
La production est superbe, avec un grain aussi vintage que moderne, sans esbrouffe, et avec une profondeur et un sens des nuances très fin, tout en arrivant à dompter la voix de Basile. Un peu comme si les Doors existaient toujours en 2022.
Sur ce disque, même si ce sont à priori les mêmes éléments que l'on retrouve, on a vraiment affaire à des chansons, dans le sens plein du terme : le chant de Basile est lumineux, comme un astre autour duquel les autres instruments tournent. La référence qui me vient le plus à l'esprit est
Jeff Buckley, dont je retrouve la manière de lier ensemble la guitare au chant. Son coté écorché, insaisissable, au bord de la rupture le rapproche d'une
Janis Joplin au masculin. Sa voix est très à l'aise dans les médiums comme dans les aigus, perce le velours musical dans le mix. Les chœurs réalisés par Edwige et Léo ajoutent encore de l'emphase à la partie vocale, s'il en était besoin.
Je dois dire que je me suis senti complètement happé par ce disque mystique comme une messe païenne, rempli de moments de grâce, où le chant et la guitare ruent de droite et de gauche, se lient pour vous catapulter au dessus des nuages ("Pyre"). La guitare propose un véritable voyage, avec des accords tordus, et des arpèges serpents, et peut à tout moment partir dans le rouge, comme avec ce gros riff à la Rage Against
The Machine sur "
Loss".
C'est plus qu'un power trio, Ã l'image de
Muse, par sa richesse et son esprit aventureux, d'ailleurs, la fin épique de "
Loss" et son riff en tapping semblent être un hommage à peine voilé à Matthew Bellamy et sa bande. La basse d'Edwige Thirion, au son brut et naturel, se met en évidence dès que la guitare baisse en intensité. Le jeu de batterie de Léo Gaufreteau est très varié, et contribue à accentuer les contrastes entre parties calmes et parties intenses. Mais Birdstone sait aussi être efficace, comme sur le très mémorisable "
Madness", aussi entraînant que le reste de l'album est sombre et torturé.
Difficile de trouver à redire à cet album, si ce n'est les défauts de ses qualités : le chant de Basile flirte parfois à la limite du too much, avec des accents de Cat Voice poussés, mais c'est en allant aussi loin qu'il arrive à toucher l'auditeur. C'est en tout cas un des albums rock les plus surprenants et inventifs qu'il m'ait été donné d'entendre ces dernières années. Liant le blues, le rock psychédélique, le grunge voire même le doom, il crée un style hybride haut en couleurs.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire