Soit une bipolarité parfaite, hard d’un côté, folk de l’autre, incarnée par les deux premiers titres, «
Gone Again » et « Beneath the Southern
Cross », ayant pour principal point commun, outre la voix toujours franche de
Patti Smith, le talent d’arriver à rendre attrayante une insistance qui, ailleurs, pourrait sembler trop pesante. Ici, on entre dans une atmosphère, une profondeur, et il ne reste plus qu’à souhaiter que l’opus s’en tienne à ce mystère entier, à cette obscurité qui n’est pas fatalement nocturne, pointant les zones d’ombre du jour, la part d’inconnu de notre espace environnant, notre géographie subjective. La question est de savoir comment vont se situer les autres titres par rapport à cette bipolarité. « About A Boy » répond d’abord par des larsens, engageant un long tourbillon où la chanteuse assène et caresse à la fois, avant que la chanson ne disparaisse littéralement dans un souffle.
Puis, quand le piano et le chant langoureux font leur entrée en scène via « My Madrigal », on comprend que la lenteur sombre, présente depuis le début, se construit aussi par contrastes, équilibre attestant un autre degré de perfection. C’est l’un de ces moments où le rock prend conscience que la chanson a toujours existé, qu’elle vient du fond des âges, et que le rock peut prétendre s’aligner aux côtés des airs les plus atemporels des autres traditions musicales. Sublimation est le mot qui s’impose à l’esprit. Même le plus brutal «
Summer Cannibals » n’arrive pas à entamer la continuité sous-jacente. Au contraire, il revient habilement à des accents poignants similaires à ceux de «
Gone Again », histoire de gagner encore en puissance.
Mais alors, qu’est-ce qui empêche l’intention initiale d’exploiter pleinement son potentiel jusqu’au bout ? Une certaine inégalité, peut-être la relative évidence de « Dead to the World », à qui l’on doit le retour du folk, même si ce morceau possède des subtilités sonores qui méritent le détour. « Wing », se traînant avec grâce, va plus loin dans le rappel de la country, où l’on aime s’attarder. La mélodie se pose gravement, affectueusement. Très folk à son tour, « Ravens » a le mérite de faire durer le plaisir, qui s’accompagne d’une latinité rafraîchissante au niveau des arpèges de guitare. Moins brutal que «
Summer Cannibals », mais plus proche de l’esprit de pesanteur assumée initiée par «
Gone Again », tel est « Wicked Messenger ».
Aurait-il fallu choisir entre la clarté dont le chant fit parfois preuve, et les longs murmures qui amènent « Fireflies » ? La question se dissipe quand on s’aperçoit que cette clarté s’y manifeste, comme en d’autres endroits. L’évolution amène les deux à se confondre. La guitare électrique, à ce stade, traduit, dans le blues, une forme d’empathie mélodique, comme autant de gestes d’attention à l’égard de la meneuse. Elle s’écoule entre les lignes du texte. Les dernières minutes révèlent un duo entre deux
Patti Smith : la chanteuse et la diseuse, qui s’écouteront l’une l’autre jusqu’au silence. « Farewell Reel » choisit la guitare acoustique, en toute simplicité, pour ultime frontière. Ses accords lointains nous suivront dans nos rêves. Pas de «
Dancing Barefoot » ici, encore moins d’apocalypse psychédélique mais, même si l’on a pu hésiter à le dire, «
Gone Again » est une œuvre de maturité qui frôle la perfection. Que
Frederick Dewey Smith, Richard Arthur Sohl, Kurt Cobain et
Jeff Buckley reposent en paix.
D. H. T.
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