La vie est une belle salope. D’abord elle te sourit, te met en confiance, t’encourage. Toi, forcément, tu y croies. Tu fais des projets, tu rêves, tu espères. Certains oublient même que le bonheur n’est qu’un mythe utopique, ou tout au mieux un moment éphémère dont il faut jouir sans réserve lorsqu’il se présente. Car l’histoire se termine finalement toujours de la même façon : quand tu es bien ferré, mec, la vie t’enfonce froidement dans le dos sa lame la plus affûtée, puis t’abandonne en te laissant te vider de ton sang, sans même t’accorder un dernier regard.
Tu sais que je ne te le souhaite pas, mais crois-moi mon pote, tôt ou tard, comme tout le monde, pour une raison ou une autre, tu vas morfler. Personne n’est épargné : un jour arrive ton tour.
Oh rassure toi, tu continues à te lever le matin. Mais sans envie. Tu vaques à tes occupations parce qu’il le faut bien; mais tu n'es pas vraiment là, car tu passes tes journée dans ta tête à ressasser inutilement les mêmes questions. Tu te demandes qui tu es vraiment ; et surtout comment tu en es arrivé là. Les sentiments que tu éprouves, les paroles que tu as prononcées, celles qui continuent à sortir de ta bouche sans que tu ne puisses rien y faire, les réactions que tu ne parviens plus à contrôler : tout en toi te fait honte et te dégoûte profondément. L’égoïsme avec lequel tu vivais pourtant très bien jusqu’ici t’apparaît soudain insupportable. Tu es perdu. Tu sauves plus ou moins bien les apparences en continuant à distribuer à tes proches de petits sourires affables, mais les gens qui t’aiment ne restent pas longtemps dupes : il est en effet particulièrement compliqué d’être avenant quand les seuls mots que tu as en permanence à l’esprit et qui à chaque instant deviennent plus palpables et concrets te renvoient à ton interminable nuit noire...
- Je crève putain. Je crève.
Lorsque l'on éprouve l'impression perpétuelle de se noyer; de s'abandonner à chaque instant aux remous d'un monstrueux naufrage en ayant la certitude absolue qu'on ne s'en sortira pas, la nature de l'Homme est telle que, mû par un réflexe de survie, on trouve rapidement une bouée de sauvetage à laquelle s’accrocher quelques instants avant de replonger, un flotteur permettant de tenir jusqu’au lendemain plutôt que de sombrer corps et bien. Certains font face à la tempête avec des médicaments et un psy, d'autres se tournent vers les plantes et autres substances chimiques plus ou moins légales. Je me suis soigné avec la Musique. En tapant un peu trop dans la gourde, pour être franc. Et «
Forever More» est devenu la lumière de mon tunnel quotidien, un havre de paix dans l'enfer de mes journées.
Mon Prozac.
J'ai su dès la première écoute de ce sixième
Tesla que Jeff s'adressait directement à moi, que ce disque m'était destiné. Je me suis fondu en lui, m'identifiant totalement à la noirceur des textes de "Just In Case" (It's raining in my heart / I feel so incomplete / A lost and broken man), de "Falling Apart" (Another song about nothing feels right and everything is going wrong), ou encore de "In A
Hole Again" (Don't want anyone to know who I really am / so they'll never see all the things I hide behind these precious walls I built just for me /so if they look into the windows of my soul all they're gonna see are my eyes starin' back and not the broken side of me).
Renvoyé à ma déprime lors de chaque écoute, je m'y vautrai, m'apitoyant sur mon sort en y prenant presque du plaisir, me sachant enfin compris, ne doutant pas qu'à l'autre bout du Monde, en Californie, cinq mecs partageaient ma détresse. Et Jeff m'offrait ce à quoi j'aspirais cruellement : un peu d'espoir, une vision fugitive, trouble, incertaine mais possible malgré tout que demain les choses iraient mieux. J'ai donc réappris à sourire au rythme de "One Day At A time" (One day at a time / No mountains to climb but sometimes it don’t come easy / One day at a time, or I lose my mind / that’s all I can do believe me); j'ai failli tatouer "I Wanna Live", sur mon avant-bras pour m'en persuader (I wanna live before I die / Don't want the world to pass me by / There's so much more I wanna try) et j'ai surtout écouté "The First Time", en boucle et parfois en chialant comme un gosse. Je suis pourtant bien incapable de décrire cette sensation de candeur, de pureté presque enfantine, de renaissance peut-être, que ne manque pas de faire résonner au plus profond de mon âme ce titre porté par un chorus de basse qui aujourd'hui encore m'accompagne dans mes nouveaux projets et me laisse à penser qu'un second jet de dés me sera peut-être accordé.
"Be everything you wanna be, you're extraordinary
Dont waste your time with memories, you're extraordinary
Take your chances while you can
Take your own life in your hands
And you can start it all again
Like it's the first time..."
"
Forever More" n'est pourtant pas exempt de tout défaut : on est (musicalement) objectivement très loin des mythiques "
Mechanical Resonance" et "Great Radio Controversy" qui s'approchaient du soleil grâce au big-bang né de la rencontre entre la voix unique, éraillée et pénétrante de Jeff Keith et les monstrueux duels de guitare de Tommy Skeoch et Frank Hannon. "
Forever More" est bien plus sobre, moins démonstratif, et pourrait même facilement passer pour un disque de Rock US calibré radio aux oreilles de quelqu'un qui n'en ferait qu'une écoute superficielle sans en comprendre l'essence.
Tesla retrouve en effet à la production Terry Thomas (Tommy Shaw,
Bad Company, Giant,
Foreigner), déjà aux manettes sur "
Bust a Nut" : un musicien qui ne donne pas dans le clinquant mais plutôt dans l'efficace. Et on se retrouve au final avec un son un peu bâtard : très réussi sur les ballades et les mid-tempi où sont mis en avant la basse et les arpèges (son clair d'ailleurs très spécial), mais un peu light sur les morceaux plus méchants, la faute à un son de batterie trop old-school comparé au mordant des guitares plus actuelles, accordées quelques tons en dessous pour laisser une marge de manœuvre à Jeff qui n'a plus la voix de ses 20 ans.
Certains déploreront également l'absence de grandes envolées guitaristiques, indissociables des premiers full-lengths, et mettront peut-être en cause le new kid Dave Rude, remplaçant du génial Tommy Skeoch, toujours empêtré dans ses addictions chimiques. Ce serait une erreur. Ce disque ne donne pas dans l'esbroufe, mais c'est volontaire, et ce afin de mettre en avant l'émotion pure, la sobriété, la mise à nu.
Des morceaux moins bons, une production contestable, des guitares en retrait... Et pourtant... Pourtant... Tout au long de l'album, les sensations s'enchaînent : malaise, détresse, espoir, allégresse, partage... "
Forever More", c'est la bastos qui monte dans la chambre au dernier tour d'une Roulette Russe. C'est le silence glacial qui se fait lorsqu'un joueur de Poker fait un Tapis à quatre zéros. Ce sont des tripes balancées sur la table. "
Forever More" tient de la Vérité. Il y a dans ce disque quelque chose que tous les musiciens voudraient connaître un jour, qu'ils essaient perpétuellement d'atteindre en ne faisant souvent que l'effleurer. Quelque chose qui s'invite ou repart de manière autonome. Le mojo. Le frisson. La touche de Magie qui faisait d'ailleurs défaut à "
Bust a Nut" et "
Into the Now". Alors on pardonne sans sourciller les petites imperfections qui font d'ores et déjà partie intégrante de cette œuvre magnifique, parfaitement illustrée par la photo des amants de Valdaro, ce couple de squelettes enlacés retrouvé en Italie quelques mois avant la sortie de ce
Tesla, à quelques kilomètres de Vérone, la ville de Roméo et Juliette...
L'Amour, la Mort, l'Éternité.
La Beauté, la Tristesse.
Forever More.
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