Je suis charmé par tant de finesse manifeste, cloué au sol par tant de savoir-faire...
Le décor : ville paumée, tard le soir, une chambre triste et une tasse de thé encore fumante dans la main. Dehors tombe une froide pluie de Mars. J'écoute pour la centième fois le premier Not Scientists. Sans lassitude aucune. Personne ne l'entend sauf moi. Les voisins dorment depuis longtemps. Ça fait des heures que j'aurais dû en faire autant. Au lieu de quoi je fais les cent pas, tenu éveillé par une vieille habitude suspendue à mon cerveau de crétin dilettant, sempiternelle interrogation du chroniqueur maladif : « J'aimerais bien parler de cet album, mais comment ? Et pour dire quoi ? »
Et je râle, et je peste... Me manque un angle, une singularité, une donnée ajoutée à la chronique mollassonne et triviale. Alors je réfléchis, hasarde, efface, recommence. Et l'album de continuer à m'accompagner, invariablement, de l'aube jusqu'au crépuscule. Ici et là. Sur CD et MP3. Nonobstant les journées grisâtres, emplit à ras la gueule de prostrés du bulbe, de casse-pieds patentés, de prédisposés à la connerie, de grégaires inconséquents, de factures oubliées, de téléphones qui ne sonnent que pour déverser un flot de mauvaises nouvelles, de tragédies, de maladies, et autres joyeuses saloperies.
Je m'ingénie à saisir toute l'intensité de cette oeuvre ; comprendre comment elle vit, respire, pense, se réalise, se meut. Mais l'exercice est vain, dérouté je suis à chaque nouvelle écoute. Alors je me laisse porter par le son crunchy de ces Fender Telecaster fatiguées et songeuses, où les accords plaqués créent un paysage clair-obscur électrique, où les arpèges, délicats et subtils, s'égrainent dans une tristesse infinie.
Je suis charmé par tant de finesse manifeste, cloué au sol par tant de savoir-faire. Je souris béatement devant la beauté inattendue des silences, devant l'émotion pudiquement cachée derrière un voile enjoué, devant le discours intelligible et intelligent d'un duo basse / batterie qui aime à casser le rythme et surprendre l'auditeur.
J'écoute Motor Ed et Jim entremêler leur voix, leur questionnement, faire le point sur un quotidien las et angoissant, sur ce qui pousse encore deux punks à parcourir les routes 15 après.
Je me réjouis de voir ces quatre gars n'en faire qu'à leur tête, tour à tour indie, punk, pop ou new wave. Jouir enfin d'une liberté salvatrice, loin du carcan d'une scène alterno-punk française dogmatique.
Et dans la nuit hivernale, une tasse de thé froid à la main, je fais les cent pas. Je n'ai toujours pas d'angle... Pas grave. Je finirai sans doute par parler de cet album avec la déférence qu'il mérite. Un jour ou l'autre. En attendant il tourne, encore et encore.
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