D'aucuns raillent souvent les bassistes pour diverses raisons, et leur affublent toutes les tares que la mauvaise foi peut pointer, les sept péchés capitaux du musicien : Mollesse, Timidité, Paresse, Pauvreté en Cordes, Immobilité chronique, Simplisme, Rangeage Express de Matériel (ah, non, c'est pas une tare). Et j'en passe encore. Heureusement, d'iconiques manieurs de 4 à 5 cordes ont bien fermé leur caquet à ces indélicats :
Jaco Pastorius, Bootsy Collins,
Sting, Flea des
Red Hot, Les Claypool de
Primus, ou même notre regretté Lemmy dans un autre genre, qui mettait tout le monde d'accord.
Bref, un bassiste, ça peut s'exprimer musicalement et scéniquement, et aussi s'affranchir, voler de ses propres ailes. Alitsh, jeune musicien franco-égyptien basé à Paris, a commencé la musique dès 6 ans, par le piano et le xylophone, et a bien failli arrêter la musique, quelque peu lassé de ces deux instruments. Il a heureusement découvert le rock arrivé à 18 ans, et s'est mis à la guitare électrique, jouant dans des groupes égyptiens de reprises metal. Depuis 2011, Alitsh est passé à la basse, et est arrivé en France un an plus tard, où il a intégré Redshift, un groupe de rock hard parisien qui a sorti en 2018 un premier album "Duality" de très bonne facture, qui me fait penser un peu à 7Weeks, en plus rock et joueur, sans la lourdeur stoner.
Cependant, Alitsh avait beaucoup d'idées et d'influences musicales qui ne cadraient pas avec ce que fait Redshift, et l'idée de faire un projet solo germa. Car outre le rock et le metal, il s'intéresse aussi aux musiques de films, à la musique classique, et à des artistes aussi divers que Dream Theater,
Joe Satriani, ou Paul Gilbert...
Etant adepte du Do it Yourself et de la MAO (Musique Assistée par Ordinateur), Alitsh a entièrement composé et enregistré les cinq morceaux de cet EP. Pour avoir un résultat qualitatif, il a eu le bon sens de confier le mixage et le mastering à Maxime Periat, au MK Studio. On a quasiment affaire à un concept EP, depuis la belle pochette d'Elise Ferry, jusque dans le choix des titres et l'instrumentation. Chaque morceau illustre un thème de manière assez imagée, comme un voyage intérieur, de la déchirure de la perte ("Gone") jusqu'à la libération finale vers la lumière ("Breakthrough").
C'est lorsqu'il pose une ambiance, comme un décor cinématographique, qu'Alitsh est le plus convaincant. L'intro énigmatique de "Gone", avec ses discrètes notes de synthé éthérées, illustre bien l'envolée de l'âme vers un autre monde. Si "The Endless Road" ou "Breakthrough" commencent de manière plus hard et rentre dedans, ce sont les passages calmes et mélodiques qui étonnent par leur justesse et leur pouvoir évocateur.
"Far Away" est pour moi le meilleur morceau de l'EP alors que c'est le moins énergique, car il est à la fois le plus intense en émotions, le plus cohérent, et on y voit bien où le potentiel d'Alitsh peut l'amener s'il développe son point fort, la musicalité.
Il y a une grande variété de styles abordés dans cette EP : le prog en ce qui concerne les stuctures, ce qui sied bien à de la musique instrumentale, l'Ambient pour ... les ambiances, le funk pour les parties de basse les plus relevées, le hard voire le metal, ainsi que le genre guitar hero (pas le jeu pour handicapés des doigts sur guitare en plastique) pour les guitares. Même si on a affaire à de l'instrumental, il y a tout de même un peu de voix humaine, comme sur "Far Away" embelli par de subtils choeurs féminins.
Les claviers et synthés sont particulièrement bien utilisés pour distiller une mélancolie, que la guitare souligne par des soli ou chorus. En parlant de soli, il y en a une pelletée sur "Chasing Lights", plusieurs par chansons, qui sont pour ainsi dire construites autour d'eux. Si l'influence de
Joe Satriani est très présente dans ceux-ci, j'ai trouvé aussi de nombreuses reminiscences de Kirk Hammett, dans les harmonies à la guitare à la Metallica et certaines mélodies.
Et la basse alors, me demanderez-vous ? Elle n'est pas à l'avant-scène, contrairement à ce qu'on aurait pu escompter, et il semble qu'Alitsh ait voulu préserver un bon équilibre général entre les instruments. Elle se fait plus remarquer dans les passages énergiques (le début Maidenien de "The Bridge") où la basse perce plus dans le mix. Sur certains titres, il fait valoir une technique sautillante au doigt dans les aigus, avec un slap bien envoyé et dosé ("The Endless Road").
Tout n'est pas parfait évidemment, et le point le plus perfectible, comme pour 90% des One
Man Bands est la batterie programmée, qui manque ici un peu de dynamique et d'audace. En outre, chipotons un peu, coté guitare, certains soli ont de longs passages en note à note, alors qu'un phrasé plus rythmique ou chaloupé -de bassiste, eh oui - aurait apporté plus de vie, à mon humble avis.
Pour un premier EP en solo, Alitsh a réussi à proposer un disque étonnamment réfléchi et abouti, réalisé avec beaucoup de soin, et une ambition assumée. Le son est de bonne facture (il y a aussi des effets de manche comme le ralentissement à la fin de "The Bridge"), et il prend même une autre dimension lorsqu'il s'aventure dans des territoires plus ambients et synthétiques. C'est paradoxalement le pendant rock/hard qui est moins bien senti, mais s'il parvient à l'élever au niveau de qualité de son groupe Redshift, en y posant une patte plus personnelle, et à l'intégrer de manière fluide dans les compositions, Alitsh risque fort de surprendre pas mal de monde ! Surtout si le contenu mélodique et la mise en valeur des ambiances dans les compositions, qui sont les atouts maîtres d'Alitsh, gagnent encore en ampleur et en fluidité.
Il est clair qu'Alitsh a encore des idées à explorer (peut-être des influences orientales, me dit-on à l'oreillette), car un deuxième EP est déjà en préparation et qu'il tienne à progresser encore pour obtenir le meilleur résultat possible. Et inutile de dire que ça me rend extrêmement curieux pour la suite...
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