Après quelques années d’errances, "
Voodoo Lounge" et "
Stripped" nous avaient rassurés quant à la santé des Stones. Pourtant en coulisses, la fracture ne fait que s’accentuer entre le dandy
Mick Jagger d’un côté, et le gardien du temple
Keith Richards de l’autre, ce dernier pouvant compter sur le soutien du fidèle
Charlie Watts. A l’aube de l’enregistrement de ce "
Bridges to Babylon", cette différence d’approche artistique se fait sentir, Jagger souhaitant faire appel aux tenants de la mode du moment, à savoir les
Dust Brothers (
Beastie Boys,
Eels,
Beck…), alors que Richards n’y tenant pas plus que ça, leur met une ribambelle de coproducteurs dans les pattes avec Don Was, Rob Fraboni ou Pierre de Beauport. Voilà une belle ambiance qui laisse augurer d’un beau foutoir !
Pourtant, les Glimmer Twins réussissent tant bien que mal à maintenir le navire à flot, même si la cohérence n’est pas la principale qualité de ce nouvel opus à la liste d’intervenants aussi longue que l’annuaire téléphonique de la Californie. En effet, blues, rock, reggae, FM, trip-hop et électro se mélangent tout au long des 13 titres qui composent "
Bridges to Babylon", offrant une recette qui ne prend pas toujours. Heureusement, Keith reste le maitre incontesté du riff imparable et les Stones sont toujours intouchables lorsque qu’ils nous dégainent quelques cartouches de la trempe de l’entrainant "Flip the Switch" au groove de batterie irrésistible, d’un "
Low Down" 'AC/DCien', ou du classique mais 'catchy' "Too Tight". Les collaborations avec les
Dust Brothers accouchent également de quelques titres intéressants, "Gunface" incorporant avec succès quelques éléments funky alors que "
Saint of Me" débute en douceur avant de monter en puissance vers un rock finement ciselé et accrocheur. Même le single "
Anybody Seen My Baby" s’en sort avec les honneurs malgré l’incorporation de samples d’un goût moyen, et ceci grâce à un
Mick Jagger enjôleur sur les couplets, et un refrain obsédant qui a valu à K.d. Lang d’être créditée en raison de similitudes avec une de ses chansons intitulée "Constant Craving".
En contrepartie, cette association nous inflige un "Might As Well Get Juiced" immonde. Ce qui aurait pu être un bon vieux blues se retrouve noyé dans une mélasse électro indigeste alourdie par les grommellements d’un Jagger victime de son jeunisme incompatible à l’esprit originel des Stones. Heureusement, ce titre est le seul à réellement sombrer, même si "
Out of Control" est dispensable sans être désagréable, et que Keith nous balance un reggae aussi décalé qu’attachant ("You Don’t Have to Mean It"), séquelle de ses collaborations avec les Wingless Angels. Sans être originales, les ballades restent agréables ("Already Over Me", "Always Suffering") et le légendaire guitariste nous délivre une fin d’album gorgée de feeling avec son chant sincère et écorché, le temps d’un "Thief In The Night" hyper bluesy et d’un "How
Can I Stop" sur lequel Keith miaule et ronronne dans une ambiance digne de confidences au comptoir d’un bon bar Blues à l’heure de la fermeture. Nouvel exemple de l’ambiance délétère entre les 2 leaders, il aura fallu toute la diplomatie de Don Was pour permettre à ce dernier titre d’être présent sur l’album. En effet,
Mick Jagger n’acceptant pas qu’un troisième titre chanté par Richards puisse apparaitre, la solution d’enchainer les deux derniers morceaux en un seul permettra à tout le monde de s’en sortir avec les honneurs.
Echappant de peu à la sortie de route, malgré ce que quelques jaloux au talent trop limité pour être supporté pourront en dire, "
Bridges to Babylon" n’en est pas moins un album manquant de cohérence et prouvant que les Stones ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils sont eux-mêmes. Ce que Jagger n’a pas réussi en solo ne marche pas non plus lorsqu’il essaye de l’imposer à ses compères, d’autant que le caractère bien trempé de ces derniers ne lui facilite pas la tâche. Il n’empêche que les fans peuvent remercier
Keith Richards pour sa détermination qui permet de sauver un chef d’œuvre en péril !
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