A l'heure d'aborder cette chronique, une question me vient: "Quel est le dernier grand album des Stones?". Par grand album, j'entends un album qui te colle les poils du début à la fin, un album où, lorsque l'écoute est terminée, tu te fends d'un "Whaa!" parce que tu ne trouves rien d'autre à dire, d'un album où tu ne sais ni qui, ni quoi encenser, la voix de Mick, les riffs de Keith, la beauté des chansons ou l'apport musical que peuvent encore avoir nos vieilles canailles à 70 piges passées. A titre personnel, je n'ai pas encore acheté "
A Bigger Bang", donc pas moyen de le juger et les précédents, sans être des accidents industriels, ne m'avaient pas retourné le cerveau. Disons que "
Steel Wheels avait été un bon album, parfait pour un retour en force après leurs errements solos, mais sinon, on commence à remonter à "Tatoo You" (début des 80's), voire "
Some Girls" (fin des 70's), t'as qu'à voir!
Donc, avec ce "
Blue & Lonesome", on est en droit de se demander ce que nous réservent les Papys du Rock. Première constatation; la pochette est hideuse. La fameuse langue en bleu et rouge, avec juste en haut à gauche le titre de l'album, franchement, fallait le trouver! J'espère qu'ils ont virés le styliste à coups de lattes sans le payer, parce que là, comme foutage de gueule... A l'arrière, les titres, et là, quelque chose interpelle l'amateur de Blues plus ou moins underground; certains titres "parlent". On dirait des vieux Blues du Delta ou de
Chicago, mais des trucs obscurs, pas de "Hoochie Coochie
Man", de "Boom Boom" ou autres "Sweet Home
Chicago", non, plutôt des Blues qui se sont classés n° 6 pendant une semaine en 1958, dans les charts Noirs Américains, v'voyez le genre. En un mot comme en cent, les Rolling Stones font un album de Blues. Leur premier. Car ils n'en avaient jamais fait un entier. Il y a toujours eu des Blues sur leurs albums de Rock. Il n'y a jamais eu d'album de Blues.
Après, faire un album de Blues est une chose, le réussir en est une autre, même si l'on se doute qu'avec eux, il y a quand même peu de chance qu'ils se loupent, surtout sur ce terrain-là. On sait que les Stones (et principalement Keith) aiment prendre leur temps en studio, multipliant les prises jusqu'à ce qu'ils soient heureux et fiers du résultat obtenu. Et là, on apprend que l'album entier (12 morceaux) a été enregistré en... 3 jours!!! 11, 14 et 15 décembre 2015, point barre! Et encore, le 15 ils n'ont enregistré que "Hoo Doo Blues". 11 titres en 2 jours, ça peut sembler incroyable de nos jours où tant de groupes mettent des mois à sortir des albums tout juste moyens (non, je ne citerai pas de noms, mais regardez dans ma direction, là,... hein,... vous voyez qui je veux dire?). Ce qu'il s'est passé, c'est que les Stones devaient se rendre en studio pour enregistrer quelques nouveaux morceaux. Mais arrivés au stud', rien, la panne sèche, rien n'a été écrit, ni même ébauché. Ils essaient quelques riffs, comme ça, peine perdue, rien ne colle. Et ça, tonton Keith, ça l'énerve. Pour se calmer, il propose à Mick de reprendre une vieille chanson qu'ils chantaient quand ils ont commencé à Dartford, un vieux Blues qui s'appelle "
Blue & Lonesome". Miraculeusement, l'ingé-son met en marche et enregistre. Tout le monde rentre dans le trip et la magie opère. Nos glorieux anciens ont rajeuni de 50 ans. Ils enchainent avec "Hate To See You Go" et "I Gotta Go", soit 3 titres de Little Walter, un des (nombreux) héros de leur jeunesse. Et en repensant à ces héros, ils ne peuvent, bien entendu, occulter
Howlin' Wolf, particulièrement apprécié par Brian Jones, dont ils reprennent ici "Commit A Crime), ni le fameux Willie Dixon, auteur d'un nombre incalculable de standards Blues, qu'ils célèbrent ici avec "Just Like I
Treat You".
Après ce premier jet de 5 titres, il devient évident pour tout le monde, dans le studio, que les Cailloux DOIVENT faire cet album de Blues que tous leurs fans leur réclament à corps et à cris depuis toujours. Quand ils reviennent au studio trois jours plus tard, ils sont gonflés à bloc. Ils ont décidés de faire cet album de la manière la plus intègre possible, comme s'ils voulaient enfin payer leurs tributs à cette musique qui les a rendus célèbres. Comme une contrepartie d'un pacte, en quelque sorte... On est pas loin de
Faust, là, et encore moins loin de Robert Johnson, l'homme qui a écrit "
Love In Vain", l'homme qui a vendu son âme au Diable en échange d'un bon jeu de guitare, au fameux Crossroad. Et, puisqu'on parle de Crossroads, voilà t'y pas que, quand ils retrouvent le studio, ils croisent un de leurs potes,
Eric Clapton (on a les amis qu'on mérite!). Ils lui expliquent le projet et lui proposent de jouer sur deux morceaux avec eux, ce que "Slowhand" accepte sans problème. Ils leur colle un coup de Slide sur "Everybody Knows About My Good Thing", un petit solo sur "I
Can't Quit You Baby" et God rentre chez lui, satisfait de sa journée. Au moins, ça ne jurera pas sur l'ensemble de l'album. Les Stones remettent ça avec un nouveau Little Walter, décidément très à l'honneur, "Just Your Fool", qui ouvrira l'album à venir, et finissent leur journée de travail par "
Ride 'Em On Down" d'Eddie Taylor, "All Of Your
Love" de Magic Sam (inconnu au bataillon pour moi) et rendent enfin hommage à
Jimmy Reed, un des plus grands, avec "Little Rain". Ils reviendront donc le lendemain pour mettre en boîte un dernier morceau de Lightnin' Slim, "Hoo Doo Blues", et quittent le studio avec la satisfaction (non, il a pas osé, quand même?) du travail bien fait.
Cet album des Stones est EXTRAORDINAIRE, et je pèse mes mots. Il aurait pu être enregistré en 1964, parce que ce que l'on entends là, ce sont les Rolling Stones originels, ce n'est pas moi qui le dit, ce sont eux sur les notes de pochette.Les Rolling Stones rendent hommage aux Blues, aux Bluesmen, ils ont mis toute leur âme (et Dieu sait qu'elle est tordue) dans cet album, qui est enfin le grand album des Stones qu'on attendait depuis... Pfffffff, plus longtemps encore.
Mick Jagger n'a plus aussi bien chanté depuis des années. De plus, et ça a dû faire un bien fou à leur relation, il a fait un immense plaisir à Keith en ressortant sa panoplie d'harmoniciste. Keith a toujours considéré que le meilleur
Mick Jagger qui soit, c'est celui qui empoigne son harmo et riffe comme un dingue derrière lui. Keith,..0. ben c'est Keith que voulez-vous, l'un des meilleurs guitaristes de Blues au monde, donc, forcément, là, il joue sur du velours.
Charlie assure le beat comme aux plus beaux jours, rien à redire, ce mec est une machine. Ronie a l'air parfois à la ramasse, mais c'est toujours la marque de fabrique du Woodpecker, et, même s'il est moins mis en avant que Riff Keithchards, les deux font quand même un sacré numéro. Toujours Daryl à la basse, Chuck Leavell et tout le reste de la troupe, tout le monde (sauf le styliste, donc!) s'est mis sur son 31 pour cet album magistral. Si vous n'avez pas d'album de Blues dans votre discothèque, c'est le moment d'en acheter un. Merci Messieurs, la boucle est bouclée, on en serait presque à souhaiter que vous en restiez là.
HotRodFrancky
Salut mon Poteau ! Inutile de te dire que je ne suis pas étonné que cet album t'ai plu ! Un peu plus par le temps que tu as mis à l'écouter mais bon, on ne peut pas être partout ! Donc, un MERCI pour cette excellente chronique !
A plus
Lovemedo
Eh ben ta tirade donne envie de l'écouter cette galette ! Je me la procure dès que possible et on en parlera devant une mousse mon Francky. Bravo.
Dévorant actuellement la biographie de Keith Richards, j'ai replongé dans les 60s 70s avec même un large détour dans les 50s, quelles époques putain, et je me réenfile tous les Stones au fil de ma lecture. Je découvre celui-ci avec un peu de retard, et j'adhère totalement. C'est pas joyeux, ça donne la soif et du plaisir, un bel album de Blues donc. Comparable dans l'esprit avec le Honkin' On Bobo d'Aerosmith. Pas étonnant que les vieux reviennent aux bases s'ils allument la radio aujourd'hui... Seul Ozzy persiste à faire le jeune et ça lui réussit pas ! Les Glimmer Twins ont encore de beaux restes et on en profite ! Merci Francky !
Cool de mettre en lumiere ce disque des Stones, totalement passé inaperçu en ce qui me concerne, le dernier bon Stones de ma collec datant de 94 avec Voodoo Lounge... en grand fan de la période 64/67, si celui ci s'en rapproche, je pense que je vais y porter une attention prochaine ! merci poto !
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