A l'aube des années 2000 et après deux albums,
Placebo a commencé à se tailler une petite réputation et sort son troisième album nommé "
Black Market Music", autrement dit, la musique du marché noir, référence entre autres aux interdits que le groupe affectionne. Le trio est resté neuf mois en studio pour son enregistrement et comme souvent l'album a suscité des réactions contrastées à sa sortie bien que globalement positives. Si l'on retrouve aisément le son qui a fait
Placebo, on peut noter aussi de grosses différences dans cet opus qui amorce un premier tournant dans la carrière des britanniques avant le grand virage de "
Sleeping with Ghosts". "
Black Market Music" se présente donc comme un album charnière, entre la "tradition" et une nouvelle orientation.
A l'instar de "
Without You I'm Nothing", "
Black Market Music" est constitué de 12 titres alternant ballades et morceaux punchy, plus un bonus caché (une tradition qui hélas ne s'est pas prolongée après cet album), "Black Market Blood", caractérisé par sa tonalité particulièrement lugubre et déprimante. L'album contient aussi son lot de tubes à commencer par "
Taste in Men" avec sa structure répétitive mais diablement efficace, décrite comme un mantra par Brian Molko, l'entrainant "
Black-Eyed" qui ouvrira la voie à d'autres chansons sur des thèmes ressemblants ("Plasticine" ou "One of a Kind"), l'énergique "Slave to the Wage", sans oublier le mythique "Special K" (et son clip aux allures de science-fiction mais qui a beaucoup vieilli) qui doit sans doute une grande partie de son succès aux choeurs accompagnant la chanson. La voix de Brian continue à gagner en profondeur et ses textes gagnent en maturité.
Si le groupe a toujours cultivé une image et une musique basée sur la sainte trinité "Sex, drugs & rock'n roll" et que celle-ci est toujours présente dans cet album (il suffit d'écouter "Special K" ou "Spite & Malice" pour s'en rendre compte), de nouveaux thèmes font leur apparition, élargissant la palette traditionnelle des relations amoureuses déçues et de l'homosexualité. Ainsi, "Slave to the Wage" devient la critique de la société du travail à la Margaret Tatcher et "Blue American" est une critique de la société américaine, qui entre autres, reste accrochée à ses préjugés.
Les références sont légion dans cet album qu'elles soient mystiques comme dans "Special K" et son renvoi à la Bible avec les sept sceaux de l'
Apocalypse, littéraires avec la case de l'oncle Tom dans "Blue American" ou encore musicales dans "Heamoglobin" dont les paroles sont inspirées de la chanson de Billie Hollyday "Strange Fruit" ou "Slave to the Wage" faisant écho au "Maggie's Farm" de
Bob Dylan. Mais ces références sont aussi existantes sur le plan musical à proprement dit. Ainsi, ceux qui connaissent
Pavement auront reconnu dans "Slave to the Wage" un riff de "
Texas Never Whispers". Cette multitude de clins d'oeil fait de "
Black Market Music" un album riche par ce qu'il peut évoquer à son auditeur.
Autre changement, et il s'agit d'une première pour
Placebo, l'introduction d'un duo dans un album. En effet, "Spite & Malice" est chantée à la fois par Brian pour les couplets et, non pas un chanteur de rock, mais de hip-hop: Justin Warfield qui assure les refrains avec aisance. Un choix judicieux qui donne à la chanson une dynamique particulièrement entrainante et une énergie qui est la bienvenue.
Musicalement parlant, les changements viennent en particulier des instruments utilisés. Effectivement, Alors que les deux premiers albums employaient surtout les instruments traditionnels du rock, à savoir guitares, basses et batterie, on peut entendre dans celui-ci du xylophone ("Commercial for Levi"), du piano ("Blue American") ou encore du thérémine ("
Taste in Men") enrichissant l'album de nouvelles sonorités. Enfin, l'apparition des choeurs sur "Special K" rend la chanson très entrainante et a sans doute contribué à lui donner son aura de supertube. Plus électronique et donc plus froid, l'album distille une atmosphère particulière de désenchantement et de noirceur accentué par des textes au romantisme noir toujours aussi exacerbé.
Au final, "
Black Market Music" est une bonne surprise. Si on pouvait craindre un copié-collé de la recette qui a fait le succès de "
Without You I'm Nothing" on se rend compte très vite que le groupe a réussi à se renouveler tout en gardant une ligne directrice solide et unifiée. L'album est riche, varié aussi bien au niveau des musiques que des paroles, tout en étant parfaitement assimilable aux précédentes productions du groupe. Se tournant vers la musique électronique, le trio prépare déjà les prémices de son prochain opus et le plus grand virage de sa carrière ainsi que sa réelle explosion médiatique.
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