Les side-projects sont souvent le lieu pour les plaisirs coupables, et aussi pour pouvoir explorer librement sans le fardeau des folles espérances des fans intransigeants. C'est ainsi que Sang Froid, né des aventures extra-musicales de membres de Regarde Les Hommes Tomber et The Veil, joue à des années lumières de leurs terrains de prédilection, le black metal et l'industriel.
Au point qu'à la question de savoir si Sang Froid est du metal ou pas, être ou ne pas être, on pourrait être tenté de dire non. Mais tout de même, quand j'entends "Grace and Doom" et ses guitares plombées, je me dis qu'on peut bien lui trouver une case stylistique qui colle dans Spirit Of Metal, et une autre dans Spirit Of Rock, bien sûr !
Le groupe est né en 2019 lorsque J.J.S., guitariste de Regarde Les Hommes Tomber et Ben Notox, clavier et programmeur de The Veil, on décidé de monter un projet pour jouer autre chose que du black ou même du metal. Pour tenir le micro, ils ont vite pensé à T.C. (Regarde Les Hommes Tomber), qui les a rejoints en décembre de la même année. Puisque Regarde Les Hommes Tomber était en stand-by forcé pendant le Covid, J.J.S. a pu en profiter pour approfondir les premières compositions pour Sang Froid et échanger à distance avec Ben Notox. Quant à T.C., qui n'avait jamais chanté en clair, il s'est entraîné d'arracher pied pour pouvoir poser du chant sur la musique créée par ses compères.
Il en est sorti un premier EP trois titres, dès le mois de janvier 2021, qui a révélé le fruit de ces expériences : pas de black metal, donc mais de la cold wave façon
Depeche Mode et Sisters Of Mercy, gothique à souhait, avec guitare et claviers sur lit de boîtes à rythmes. Le groupe a pu faire des concerts en 2022 (notamment en support de Perturbator), avec en plus un certain Y. pour tenir la basse en live.
Nous voici en 2023, et le trio a enfin pu enregistrer son premier album, toujours au studio Drudenhaus avec Benoît Roux, qui l'a aussi mixé, masterisé et produit, y posant la touche finale en mai 2023.
Que de progrès depuis le premier EP éponyme, à tous les niveaux : Benoît Roux a donné plus de profondeur au son pour commencer, dans la tradition de la cold wave des années 80 côté boîte à rythmes, mais une touche de modernité discrète pour le reste des instruments. Les guitares sont mieux intégrées et la voix de T.C. parfaitement placée. Les compositions sont bien meilleures et chaque chanson a sa propre couleur, ses hooks, comme la mélodie de synthés de "Proudly Ruining Yourself", le refrain simplisme d'efficacité de "Lymphatic", le riff lourd de "Grace & Doom".
Les morceaux sont construits sur des idées évidentes, très lisibles, et évoluent de manière subtile, au fil des orchestrations des guitares et des synthés. Le beat est binaire, avec des breaks simples et efficaces, avec parfois des toms ajoutant quelques tremblements de terre sur certains passages. Ce dénuement rythmique n'est qu'apparent, dès qu'on tend l'oreille, on entend le travail effectué autour du kick et du snare, fait pour mettre en valeur les compositions.
Les ambiances sont très travaillées, comme sur "House of Resignation" dont les arpèges nostalgiques se drapent d'autres émotions au fur et à mesure, avec le chant de T.C. et les arrangements. Loin d'être linéaires, les lignes vocales peuvent tout à coup s'élever et faire une espèce d'effet de twist mélodique, à l'occasion d'un break ou d'un refrain.
Si la voix grave de T.C. est très proche de celle de
Dave Gahan, avec des petites inflexions de Roland Orzabal (
Tears For Fears), je trouve. Cependant, plus j'écoute l'album en considérant la musique dans son ensemble, et plus il se singularise de l'influence si manifeste de
Depeche Mode. Il se refroidit à la manière de
New Order ou
Kraftwerk sur "The Eleventh Dawn", ou lorgne vers
Killing Joke -on vient d'apprendre le décès du guitariste Geordie Walker, à ce propos-sur "House of Resignation" ou "Inquisitive Nature ". Ce dernier titre finit l'album en étant le plus aventureux et personnel du disque. Il y a aussi un aspect contemplatif et cinématographique sur l'opus, qui se cristallise sur l'instrumental "Nightline", et illustre les thèmes nocturnes de "
All-Nighter".
Le moins qu'on puisse dire, c'est que J.J.S, Ben Notox et T.C. cachent bien leur jeu, qui aurait pu dire que ce sont eux derrière ce bel album de rock gothique à la lourdeur grave. Il tire le meilleur de la cold wave des années 80 et du début des années 90, avec en plus une lourdeur metal lorsque les guitares saturées rentrent en scène. Huit chansons où rien n'est à jeter, où Sang Froid se révèle petit à petit, en prenant de la maturité.
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