Anathema
J'ai le pas très léger ce soir. La petite demi-heure de marche séparant mon hôtel de la salle du Metronum à Toulouse est tout juste suffisante pour me permettre de réviser les derniers classiques avant de me mettre en jambes pour cette soirée que j'attends depuis fort longtemps. Une première effusion de joie au moment où j'ai vu les dates françaises et une deuxième quand ma chef de secteur m'a autorisé a prendre mes dates de congés en adéquation. J'étais jouasse. Anathema, je serais là.
Je n'étais alors jamais venus au Metronum, mais la salle me faisait déjà forte impression. Un immense pavé de béton au milieu d'un quartier en construction, quelque chose d'austère, mais aussi de terriblement prenant, tant la salle respirait déjà cette odeur de concert. Il y avait du beau monde. Du chevelu, du velue, du poilu, des jeunes, des habitués, des papy-rockeurs, du gros metalleux bourru, des punks et des jeunes gens sages. Les foules se sont mobilisées et ça n'augurera que de la joie et du bonheur.
La salle est splendide, bien loin des endroits exiguës auxquels je suis habitué sur la Côte, me mettant toujours plus en face de la dure réalité et du retard colossal de la Côte d'Azur à proposer des salles pour les scènes alternatives. La MJC Picaud, grand respect pour elle, doit se sentir bien seule, me dis-je. De ce fait, je m'extasie devant le large espace réservé au public, devant les deux grandes rampes entourant ce-dit espace et ...
« Je prendrais une pinte, s'il vous plaît. »
Évidemment, plongé en milieu inconnu, l'homme se dirige vers la meilleure terre d'accueil qui soit.
« Vous n'avez pas des choses à manger, par hasard ?
- Et non. Peut-être avec la sangria.
- Boarf, tant pis, je me nourrirais à la bière !
- Ça fera 3€, je garde un euro pour la consigne.
- C'est où qu'on signe ? »
Le regard dépité du type me fait comprendre que ma blague n'était peut-être pas si top que ça. Pourtant d'habitude elle fait un carton... Je préfère donc me dire qu'il n'a pas compris. Je vais donc de ce pas me trouver un emplacement pour siroter tranquillement, proche du stand de merch archirempli de produit estampillé Anathema, allant des albums jusqu'au vêtement en passant à des ... Bavoirs pour bébé. Rockeur, mais tendre. Tout le monde le sait. Un petit étal à côté porte le nom de Mother's Cake. Étant donné que le même nom est présent sur scène, j'en déduis qu'il s'agit de la première partie.
MOTHER'S CAKE
Mother's Cake est un trio Autrichien construisant une musique dite progressive, s'orientant aussi bien vers les terres atmosphériques du Post-Rock et de l'ambiant, notamment dans l'utilisation de longues plages éthérées et délicates, tout en gardant un aspect énergique dans l'utilisation d'une base funk intéressante. On y retrouve des touches de Stoner aussi, parfois même doom quand cela le permet.
Je ne connaissais pas le groupe, mais il ma fait plutôt bonne impression, je comprends très bien qu'Anathema leur ai permis de faire leur tournée avec eux. Le show, d'une quarantaine de minutes, était carré et bien construit, les pistes s'enchaînaient efficacement, le groupe prenant un malin plaisir à couper net la musique pour la redémarrer quand le public commençait les applaudissements.
Chaleureux et avenant, les trois membres, plutôt jeunes étant donnés leurs apparences, étaient très sûrs d'eux et savaient emmener leurs ambiances dans les bonnes directions pour emballer avec facilité un public déjà nombreux et complètement dans la danse. Du bon rock, parfois gras, parfois propre, avec même des ballades plutôt bien fichues, de quoi directement se chauffer en attendant le meilleur morceau.
ANATHEMA
« Je prendrais une pinte, s'il vous plait. »
Mais on va ralentir un peu, j'ai l'estomac vide, et puis il le faut quand même de l'esprit pour filmer droit et pouvoir vous rapporter en détail ce que j'ai vu et entendu. Ça discute, ça rigole, sur scène, l'un des travailleurs passant l'aspirateur reçoit une méga ovation de la salle en passant avec son Tornado 2000, bonne ambiance et rire général. Ça présage du bon. Mais déjà les premières notes du groupe Anglais résonnent. Cul sec et on se met en place.
Ambiant et délicat, une batterie délicatement frappée, « The Lost Song » se lance. La voix envoûtante de Vincent se met en place, Daniel prend le piano, Lee Douglas le second micro... Le public ne bouge plus, captivé par l'impressionnant magnétisme de la bande des Cavanagh. C'est comme un rêve, le moment que j'attends depuis de nombreuses années. La montée en puissance du morceau, l'émotion dégagée est palpable, j'en tremble. La redescente n'en est que plus succulente, Lee faisant preuve d'une émotion incroyable pour porter de son aura la deuxième partie du morceau, piano/batterie en fer de lance.
Le groupe jouera encore de cette pyramide de sensation avec « Untouchable ». L'ovation du public est là, Anathema s'est mis le public toulousain dans la poche en une poignée de minutes. Puis cette femme a définitivement quelque chose et on comprend facilement que celle-ci est de plus en plus présente vocalement. Chaque transition est une ovation, « Thin Air » ne change en rien la joie du public. Vincent transpire de beauté sur ces interventions. « Yes, I love you » !
Tournée du nouvel album oblige, c'est bien évidemment celui-là qui sera le plus représenté lors de ce concert. Le groupe tourne la tracklist de manière intelligente, le dynamisme laisse place à la douceur, et ainsi de suite. « Ariel », porté par une Lee plus sublime que jamais ou bien un « Anathema » tout en minimalisme par un Daniel très concentré au piano. L'émotion atteint son paroxysme quand les frères sont réunis lors d'intense solo. Mes yeux pétillent. Parfois, la salle danse un peu plus, comme sur le groove de « The Lost Song Part 3 », John faisant virevolter ses fûts avec maîtrise.
Les trois derniers albums sont bien évidemment les plus représentés à aujourd'hui. Nulle surprise de découvrir la sensibilité de « The Beginning and the End » ou encore la phénoménale progression de « Universal », moment de communion impressionnant de la salle à un groupe faisant ressortir les meilleures émotions d'un public hypnotisé... Ce solo de conclusion restera l'un des plus prenants qui soit.
Très proche du public, c'est Daniel Cavanagh qui s'est le plus chargé de l'ambiance. Toujours ouvert à la plaisanterie, le pianiste/guitariste parle vraiment bien français, avec un gros accent amusant, toujours à chercher et taquiner son frère chanteur, ce dernier ne se privant pas pour pousser toujours plus loin les rires du public. De vrais artistes, en somme. Et du plaisir, beaucoup de plaisir, même si parfois on le sentait venir gros comme un éléphant sur Jupiter.
Ainsi, après un « Closer » envoûtant, décrivant à la perfection ce que doit être un morceau électro/ambiant matinée d'une intense séance d'énergie sur son final, le groupe parti de la scène. Il ne pût échapper au public, réclamant alors à cors et à cris le groupe anglais de revenir, que la mélopée instrumentale résonnant sur scène n'était autre que « Firelight », qui introduit sur l'album du même nom le titre « Distant Satellites », somptuosité électronique. C'était donc évidemment la même chose sur scène. Bordel. Le voir haranguer la foule en chantant en douceur des " I'm alive, I'm alive, I'm alive " ... Oui, nous aussi, nous étions vivant.
La présence de « Take Shelter », douce et émotionnel, larmoyante de bonheur, sera le dernier point récent d'un rappel se voulant plus proche des classiques du groupe. Portable et briquet levés, Lee entonne les premières notes d' « A Natural Disaster ». D'une sensibilité à fleur de peau, subjuguant la salle de la douce beauté de sa voix, plus rien ne bougeait, si ce n'est l'éclairage minimal de la scène, comme l'avait demandé Daniel pour mieux admirer les lumières du public. Il était écrit que ça ne se finirait pas dans la mélancolie, mais dans l'énergie. L'introduction ambiante est vite passé, la batterie cogne, les guitares s'agitent, le public se masse au centre de la pièce et bouge comme d'un seul homme sur ces accords si reconnaissables de « Fragile Dreams ». Tout est parfait. Tout.
Je pourrais chipoter encore des heures, comme je le fais dans mes chroniques. Je pourrais râler de ne pas avoir entendu des « Flying », « Panic », « Dreaming Light » ou « A Simple Mistake ». Mais je n'en suis même pas là. Je me suis jeter au milieu pour pouvoir serrer la main des Cavanagh, des Douglas, de Cardoso. C'est pour des instants comme ça. Cet étrange pouvoir qu'a la musique de nous faire vivre, de nous émouvoir, de nous faire pleurer. De nous faire sentir vivant, en fait.
Oui, c'est ça. Vivant.
Merci pour tout.
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Tracklist du concert
1. The Lost Song Part 1
2. The Lost Song Part 2
3. Untouchable Part 1
4. Untouchable Part 2
5. Thin Air
6. Ariel
7. The Lost Song Part 3
8. Anathema
9. The Beginning and the End
10. Universal
11. Closer
Rappel
12. Firelight
13. Distant Satellites
14. A Natural Disaster
15. Take Shelter
16. Fragile Dreams
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