«
Lizard» est un CD oublié dans la discographie de
King Crimson, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, à cause de
Robert Fripp : il n'a pas eu un contrôle total sur la réalisation de l'album, et il l'a depuis «renié» ; d'ailleurs, bien qu'il soit seul membre permanent du groupe ainsi que son leader (ou dictateur, c'est selon), il est très peu présent sur cet album, et joue essentiellement de la guitare acoustique. Ensuite, cet album est également oublié à cause du line-up : il s'agit du moins connu et du plus court des différents line-up du groupe ; à peine l'album était-il sorti que le groupe était à nouveau séparé. Pourtant, «
Lizard» constitue l'un des albums les plus intéressants du groupe, la musique proposée se démarquant totalement du reste de leur production : il s'agit d'un mélange entre le Rock progressif et le Jazz. Ce n'est pas pour autant du Jazz-Rock : le mélange de ces deux genres donne au contraire un résultat plutôt symphonique, voire grandiloquent (dans le bon sens du terme) sur la pièce éponyme. A sa sortie, l'album recevra des critiques variées, certains estimeront l'album trop hermétique et complexe, alors que d'autres le considèreront comme le meilleur du groupe.
Je parlais ci-dessus du line-up : pour cet album,
Robert Fripp reste le guitariste, Peter Sinfield le parolier, et Mel Collins le saxophoniste et flutiste. Gordon Haskell, qui chantait un morceau sur le précédent album, devient chanteur et bassiste à plein temps, et Andy McCulloch remplace Michael Giles à la batterie. Quant à Keith Tippet, il est reconduit en tant que musicien de session au piano, et va proposer les services de Centipede, son orchestre de Jazz et de Musique Classique.
Abordons maintenant le contenu du CD. Je vais commencer par «Indoor Games» et «Happy
Family», deux titres complémentaires. Si le premier est un titre très sautillant et qui nous met de bonne humeur de par un côté jazzy très prononcé, le deuxième constitue son penchant sombre, bien qu'il conserve le côté sautillant et jazzy de son homologue. La voix de Gordon Haskell y est trafiquée et il se glisse au milieu du morceau un passage expérimental, inspiré du
Free Jazz. Cependant, ces deux morceaux restent les moins intéressants de l'album.
Ils ne peuvent en effet rivaliser avec un morceau tel que «
Cirkus». Ce morceau alterne des couplets très calmes et mélancoliques (grâce au chant et au mellotron) avec un refrain glauque et oppressant grâce au mellotron qui imite ici le son de cuivres. Il contient également un solo de saxophone magnifique. C'est sur ce morceau que Fripp est le plus présent. Son jeu de guitare y est très technique et rapide, mais soutient parfaitement bien les différentes ambiances du morceau. «Lady of the Dancing Water» est le morceau calme de l'album. Contrairement à «Cadence and Cascade» sur l'album précédent, où Haskell peinait à convaincre, son chant est ici bien meilleur et bien plus convaincant, et soutient parfaitement l'ambiance bucolique du morceau.
Enfin, le morceau éponyme est une pièce de 23 minutes divisée en 4 parties, la troisième partie étant elle-même divisée en 3 sous-parties . Elle raconte l'histoire du prince Ruppert qui part tuer un lézard géant qui terrorise le pays. L'ambiance y est donc très médiévale. Keith Tippet fait des merveilles sur ce morceau. Son jeu de piano y est très varié , alternant des passages calmes à d'autres violents dans lesquels il semble taper dessus, à tel point qu'il s'agit pour moi de la musique sur laquelle le piano est le mieux utilisé. Le chanteur de
Yes,
Jon Anderson chante sur la première partie de cette pièce, «
Prince Rupert Awakes». La deuxième partie, «Bolero : The Peacock's Tale» semble décrire le voyage des soldats qui partent tuer le lézard. C'est une partie dans laquelle Musique Classique et Jazz se mélangent, avec en prime un passage
Free-Jazz joué par le saxophone de Mel Collins et le piano de Keith Tippet. Ces deux premières parties ont une ambiance très mélancolique et médiévale . La troisième partie, «The Battle of Glass Tears» est beaucoup plus triste, violente et chaotique. Elle commence par le chant très triste de Gordon Haskell, comme s'il se lamentait de la bataille que se livrent son armée et le lézard. Par la suite, le saxophone et le piano se mélangent aux instruments «classiques», formant ainsi un ensemble chaotique inspiré du
Free-Jazz qui illustre la bataille entre lézard et les soldats. Cette partie se termine par un solo de guitare de
Robert Fripp, au son très acide et écorché, qui décrit le champ de bataille après la bataille. Il s'agit surement d'un des meilleurs soli de
Robert Fripp. Enfin «Big Top», la dernière partie, clôt le morceau sur une note féerique et médiévale. «
Lizard» est donc une pièce maîtresse de
King Crimson qui surpasse largement l'autre morceau de 23 minutes créé la même année, à savoir «Atom
Heart Mother» de
Pink Floyd.
Album mésestimé de
King Crimson, «
Lizard» reste cependant l'un de leur sommet, notamment grâce à la pièce éponyme et à «
Cirkus», mais aussi l'album du groupe le moins accessible. Après un «
In the Wake of Poseidon» en demi-teinte, le groupe a su se ressaisir et évoluer avec brio. «
Lizard» est donc un album du groupe à écouter, mais pas le premier à écouter, le style pouvant rebuter ; on aime ou on déteste. Personnellement, je fais partie de la première catégorie.
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