Londres n’est plus la ville que j’ai aimée.
Certes, on peut toujours y admirer les joyaux de la couronne et visiter la National Gallery, faire du shopping à Covent Garden ou traîner sur Oxford Street ; s’offrir une paire de disques à Soho ou Notting Hill et croiser toutes sortes de débranlés de la tête à Camden, mais bordel qu’est-il arrivé à Carnaby Street désormais aussi franchisée que les Champs Élysées, pourquoi a-t-on laissé les portes du Marquee et du Ruskin Arms se refermer, et à quoi pensait Tony Blair lorsqu’il a, en Juillet 2003, soutenu la loi autorisant les pubs à vendre de l’alcool après 23h ?
Certaines coutumes sont sacrées. Y toucher c’est pécher. Demande-t-on une facture à son ouvrier portugais, un sourire à son serveur parisien ou une réflexion profonde à son footballeur préféré ? Merde alors !
Priver les pubs londoniens de ce rituel consistant pour les barmen à taper sur une cloche à 22:50 précise en hurlant « the bar is closed ! », et déclencher ce faisant une mêlée surréaliste digne d’un match des All Blacks, dans laquelle il était si bon de se jeter pour commander non pas une dernière pinte, mais deux ou trois pour faire jeu égal avec les locaux, c’était évidemment assassiner l’Angleterre.
Il fallait autrefois se pointer au Toucan vers 17h pour y choper une place assise au comptoir du bar du sous-sol. Dès que votre cul touchait l’un des tabourets en forme de pinte, Pete, le barman, 70 piges bien tassées, vous tendait d’office un cendrier en tirant de l’autre main votre demi-litre d’Or Noir. S’il vous prenait dans la soirée l’envie subite et absurde de lui commander un breuvage autre que Guinness ou Whisky écossais, une préparation mentale s’avérait nécessaire. Coaché par votre voisin de comptoir hilare, vous rassembliez courage et détermination afin affronter le regard d’incompréhension du maître des lieux qui, pensant avoir mal entendu, ou refusant peut-être l’impensable, vous apportait finalement une nouvelle pinte (dans laquelle ne manquait jamais le trèfle dessiné sur la mousse)... C’était chouette d'arriver tôt pour regarder le bar se remplir, jusqu’à ce que ses quelques mètres carrés soient complètement saturés de cris, de rires, de fumée et de vapeurs d’alcool. Saturés de Vie. Une Vie que l'espace de quelques heures, chacun mettait d'ailleurs entre parenthèses dans ce sanctuaire inviolable, générateur de sourires et de fous rires, de moments dont nous savions, alors même que nous les vivions, qu'ils deviendraient éternels. Des petites parties de nous-mêmes auxquelles repenser avec émotion les jours de déprime.
Mais l'œuvre du Temps et les lois débiles amènent l'inéluctable Changement... Et certains soirs aujourd’hui, le sous-sol de ce pub mythique reste quasi vide. Les clients préfèrent rester dehors pour fumer. Et puis il n’y a plus d’heure pour aller boire, on peut désormais picoler à Londres jusqu’au bout de la nuit... Mais l'alcool y est bien triste, car l’ambiance irretrouvable qui régnait dans les Public Houses du Royaume de Sa Majesté a foutu le camp avec la cloche du bar.
Et les pubs de
London sans cette putain de cloche, c’est comme
Whitesnake sans Moody /Marsden. Sur le papier ça semble pourtant séduisant : plus moderne, plus international, plus professionnel, plus esthétique... Mais finalement; ça ne fonctionne pas.
C’est sûr que les culs de bouteille et le bob orange de Ian Paice, le ventre bedonnant de Bernie qui dépasse quasiment de son T-shirt, sans parler du chapeau de Ranger de Micky, c'est moins sexe que les abdos et la gueule d'ange de Sykes ou la gratte à trois manches de
Steve Vai en forme de cœur... Mais n'en déplaise à notre cher David, malgré un look incompatible avec une carrière à l'américaine, les trois musiciens britanniques maitrisaient à la perfection une chose derrière laquelle le Serpent Blanc rampe encore depuis leurs départs respectifs : le feeling.
Et quoi de plus pertinent qu'un album live pour illustrer le poids du facteur humain au sein d'un groupe ?
Arrivé dans les bacs à la fin de la sainte année 1980, ce double-vinyle gatefold se compose de deux enregistrements distincts, tous deux captés à l'Hammersmith Odeon (Novembre 1978 et Juin 1980). Alors que la face B n'est en fait qu'une réédition du "
Live at Hammersmith" déjà disponible depuis 1978 (en import japonais), la face A propose un nouvel instantané du groupe en pleine tournée de promotion du chef d'œuvre "
Ready an' Willing". Le groupe se compose alors de son line-up dit plus tard "classique", à savoir trois ex-
Deep Purple, Jon Lord, Ian Paice (excusez du peu) et bien évidemment David Coverdale, épaulés par la paire de guitaristes (excellents chanteurs de surcroit) Micky Moody/
Bernie Marsden et par l'écossais Neil Murray à la basse. Paice n'ayant rejoint le reptile qu'en Août 1979, c'est Dave Dowle qui joue sur le live de 1978. Des musiciens virtuoses et rôdés à l'improvisation, un groupe à son apogée artistique, et Martin Birch aux commandes pour la captation des concerts, ça donne... un Live historique, peut-être l'un des plus chauds de l'histoire du Rock, à ranger aux côtés des "Live And Dangerous", "Strangers In The Night" et autres "One Night At Budokan".
Et quand je dis chaud, c'est plutôt bouillant ! Pas d'échauffement ni de mise en jambes : c'est à grosses gouttes que l'on transpire dès les premières mesures du jouissif "Come On" ! On a soif bordel ! Et cette chaleur assommante, qui nous transporte immanquablement dans l'atmosphère enfumée des débits de boissons britanniques, prend sa source directement à la sortie de l'ampli basse de Neil Murray, la star de ce disque, qui réussit l'exploit de magnifier les versions studio de chaque titre. Lourd, puissant, précis, mélodique sans être trop démonstratif, Neil porte quasiment la baraque à lui tout seul à la manière d'un Gerry McAvoy (
Rory Gallagher) et emmène le groupe avec lui. Que ce soit sur cette face A très Hard ou sur le concert de 1978 plus Bluesy, Murray nous éclabousse de sa classe à chaque instant. Bien entendu, l'écossais ne serait rien sans son binôme Ian Paice, lui aussi finalement plutôt discret quand on sait de quoi le Monsieur est capable. La section rythmique est véritablement au service des chansons Hard Blues de Coverdale, même si l'on reconnaît pourtant bien la patte de l'ex-Purple. La différence entre les deux concerts saute d'ailleurs aux oreilles dès la première pêche des deux versions de "Come On". La frappe de Ian Paice est sèche et tendue, ultra-précise, là où Dave Dowle se montrait plus souple, voire un peu mou. Il n'y a pas photo, on sait qui est le patron !
Sur ce tandem invincible viennent s'ajouter un Jon Lord (
RIP 1941-2012) lui aussi tout en retenue mais si majestueux dans ses interventions ("Walking
In the Shadow of the Blues"), et deux guitaristes au talent incroyable,
Bernie Marsden et Micky Moody. Alors oui, les mecs portent encore sûrement des sous-pulls violets, mais Coco peut également se rhabiller avant de retrouver des mecs dotés de personnalités aussi marquées qui faisaient tout le charme du véritable
Whitesnake... Le solo slide de Micky Moody sur "
Love Hunter" nous rappelle là encore le maître Rory... Quant aux cartouches mélodiques de Bernie, dont l'admirable solo de "
Fool for your Loving" n'est qu'un exemple parmi d'autres, elles valent bien tous les sweeps de
Steve Vai et les harmoniques de John Sykes : les notes coulent de source et paraissent si évidentes que l'on sait qu'il n'aurait pu en être autrement.
Facile pour Dave avec une équipe pareille de mettre le public dans sa pogne ? Oui, mais encore faut-il se montrer à la hauteur de ses coéquipiers, et Coco relève le défi haut la main. Sans Glenn Hughes pour lui faire de l'ombre, il est plus facile pour l'auditeur d'apprécier la voix chaude et suave de notre lover préféré, et on ne se lasse pas de ses intonations brits bien typiques. Même quand il ne chante pas, on jubile de l'entendre parler, et ces "Here's a song for ya" accèdent ici à un statut aussi culte que les "Scream For Me" de Dickinson. Alors oui, on lui mange dans la main à David, et même dans son fauteuil, on tape du pied et on chante (faux). Pas étonnant donc que Martin Birch ait réussi à si bien capter la participation du public, aux anges de reprendre en chœur ces pub-songs teintées de Blues. On pouvait d'ailleurs lire sur la version originale du "
Live at Hammersmith" la note suivante qui n'a pas été reprise dans la nouvelle édition : "Not only does it features the Band, it also presents the audience singing like a choir of the song "Ain't No
Love in the
Heart of the
City"... Nice One !"
Les versions incroyables du "Walking
In the Shadow of the Blues" soutenu par l'Odeon, ou de "
Trouble" voyant Dave haranguer la foule avec des "Is it the same for you ? /
Trouble's always comin' my way !" ayant retourné notre pauvre cerveau déjà perturbé par les émotions contradictoires engendrées par le mordant de "Sweet Talker" et la beauté à pleurer du "Ain't No
Love" (reprise de la non moins excellente version de Bobby "Blue" Bland - "Dreamer", 1974), on s'envoie quand même pour la route deux covers du Mighty Purple, un "Mistreated" habité et un "Might Just Take Your Life" sur lequel l'absence de Paice se fait sentir, mais qui nous permet d'entendre Bernie se payer le luxe d'interpréter les parties vocales de Glenn...
Et gavés jusqu'à plus soif d'hymnes intemporels, on termine ce disque comme l'on sortait autrefois du Toucan à 23h, poussés par Pete vers l'escalier de la sortie de secours : ivres, heureux, hilares, chantant bras dessus bras dessous avec de parfaits inconnus un morceau universel pour lequel on gardera toujours une affection particulière :
"I was born under a bad siiigggnnn,
Left out in the cold !
I'm a lonely man who knows
Just what it means to loooose control..."
"
Live in the Heart of the City" est un Live comme on n'en fait plus, un de ces opus ayant marqué le Rock d'une empreinte indélébile. Grâce à cette merveille, Coco, malgré son bronzage et ses frasques hollywoodiennes, restera finalement dans nos cœurs le brit' provincial mal fagoté au bracelet-montre démesuré, le kid au talent fou qui a réussi dans la grande ville, et l'on ne peut que se sentir un peu triste du destin du Serpent Blanc et de son virage américain ayant rendu
Whitesnake aussi formaté que l'est devenue Londres en quelques années.
Le pire étant peut-être que Dave vend aujourd'hui du pinard californien.
Miséricorde.
Non, c'est certain...
Whitesnake n'est plus le groupe que j'ai aimé.
J'ai 17 ans lorsque ce double album sort, album de la discorde entre moi et mon meilleur pote mais, quel Live.
Tout est là, à tel pont que presque rien ne changera après mais bon, quitte à me répéter, quel Live...
Bouh merde j'ai découvert ce live en 84 après avoir vu Purple au stade de l'ouest je courais après tout ce que faisait Jon Lord..Merde ce type c'est un pére ? Un Dieu du rock
Au merde tu fais C... avec tes super chros
Le temps passe mes amis le temps passe
"Depeche toi de vivre depeche toi de mourir "
Merci PANZ
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