1981, AC/DC est un géant, sinon LE géant incontesté du Rock: culte et maudit suite au récent et tragique décès de
Bon Scott, triomphant grâce au démentiel
Back in Black. En effet, le dernier effort du groupe emporte tout sur son passage. Présent dans des dizaines de millions de chaumières, ce blockbuster renvoie les boys sur les routes jusqu'à l'été. Que faire quand on est dans la position d'un alpiniste qui a grimpé l'Everest dès sa septième ascencion? Voilà le genre d'interrogations qui ne semble pas pertuber outre mesure cette équipe gagnante. Celle-ci se rend bientôt en France, non pour prendre enfin les vacances méritées, mais pour relancer le processus de création.
Après une phase de composition-répétition dans une usine désaffectée, la troupe est à Paris pour mettre sur bande les nouveaux morceaux, se fixant pour objectif de "capter" un son
Live. La galère commence pour le producteur Robert John "Mutt" Lange et ses prestigieux clients. Malcom et compagnie se lassent devant les difficultés techniques rencontrées. Heureusement, un break salutaire est occasionné par une participation au Monsters of Rock, à Castle Donington. Le plaisir de fouler les planches ravive le projet. Mieux encore, durant cette interruption tombée à point nommé, Lange récupère un studio mobile bien plus adéquat. Les choses sérieuses peuvent enfin commencer.
Beaucoup - trop - d'énergie a été dépensée afin d'arriver à un rendu sonore démesuré. Si les critiques et historiens du Rock attribuent l'expression Wall Of Sound à Phil Spector, le brillant "Mutt" Lange a repoussé cette notion sur les deux précédentes galettes du groupe. Le voila bien décidé à persévérer quitte à épuiser les Young qui se passeront ensuite de producteur extérieur durant de nombreuses années.
Autre bémol: l'écriture, moins directe qu'à l'ordinaire, marque une rupture partielle avec les thèmes prépondérants que sont le Blues, les filles et la fête. Plus ambitieuse après la brillante intégration de Brian johnson, la troupe rédige des textes plus expérimentaux et métaphoriques que précédemment. Cette prise de risque déçoit une partie des fans anglo-saxons.
For Those About to Rock (
We Salute You), un titre étrange?
L'idée vient d'Angus et fait référence aux gladiateurs. C'est le fameux "Ave Caesar, morituri te salutant" ou "Avé César, ceux qui vont mourir te saluent", expression signifiant à l'Empereur la soumission totale des vedettes de l'arène. Supprimons César, remplaçons le verbe anglais To Die par To Rock, le compte y est (Quelle analyse pertinente, subtile et perspicace, Holmes! De rien, Watson, je n'ai fait que mon devoir, certes votre minutieuse collecte des indices me fut sans doute alors de quelque secours. Mais revenons à nos moutons - l'Australie est leur pays de prédilection, quelle remarquable coïncidence - et fermons cette parenthèse afin d'éviter une digression oiseuse que le valideur sourcilleux pourrait trouver, à juste titre, parfaitement déplacée ici. Elémentaire, mon cher Watson!). C'est donc une dédicace pleine de promesses que les compères offrent à leur public, gage d'un dévouement non feint.
Autre trouvaille, les canons sont inspirés de ceux entendus lors du mariage du
Prince Charles avec Lady Di, évènement qui accaparait l'actualité au cours des sessions d'enregistrement. Les paroles mentionnent 21 coups, comme à la Maison Blanche. Le visuel est également Américain puisqu'il s'agit, comme sur scène depuis cette tournée Canon And Bell, d'un modèle de la guerre de sécéssion. Ce titre phare, connu aujourd'hui de tous donne dans un tempo lent digne d'un
Hell's Bells. Son final d'anthologie, rythmé par les détonations, donne un second souffle à cette pièce maîtresse, appelée à devenir plus tard l'outro officiel des shows.
For Those débute donc par un hymne phénoménal pour se conclure par ... un standard. Spellbound et son feeling Blues teintée de Groove met le chanteur en valeur pour peu que l'on ne veuille pas le comparer à tout prix à son immense prédécésseur. En effet, ce Blues vénéneux au charme envoûtant, à contre-pied de ce que l'on écoute durant les 35 minutes précédentes, est l'archétype du thème scottien, ici revisité en son THX. Ainsi est la carapace, plongeons nous maintenant dans les entrailles de la bête.
I Put The Finger On You et ses paroles "tactiles" et explicites diffèrent des élans habituels de grivoiserie potache typique du genre. Plus directement sexuel qu'à l'accoutumé, ce morceau choque presque; après tout, nous ne sommes qu'en 1981! Rock'n'Roll évident et entrainant, ce passage est de ceux qui vieillissent bien. Très dynamique,
Let's Get It Up et son intro limpide est un titre qui aurait bien tenu sa place dans
Back in Black. Un peu inférieur, Inject The Venom s'illustre aussi par une entrée en matière efficace, d'une simplicité biblique.
Avec Snowballed, on retrouve des lyrics décalés; le texte parle d'une femme sur un ton visiblement plus désabusé qu'ironique. La rythmique rapide renforce l'ossature de l'album en secouant l'auditeur à mi-parcours. L'enchainement Evil Walks / C.O.D (Care Of The Devil) malmène les puritains, de nouveau en croisade contre les présumés représentants du Malin, perturbateurs tout désignés de l'Amérique reaganienne. Pas vraiment occultes, ces invocations sont dans la grande tradition du blues. C.O.D est une petite merveille tenue par un Malcom toujours impérial. En revanche, Evil Walks, malgré de bons accords à la
Creedence Clearwater Revival, ne parvient pas à décoller complètement.
Hors des idéologies prônant une quelconque révolte collective, Breaking The Rules fait appel à un individualisme lié au bon sens et invite à se défaire de tout embrigadement. Cette composition est très particulière par ses tonalités "claquantes" entre le Doors de Waiting For The Sun et les prémices du Ska-Punk . Habituellement toujours discret, Cliff Williams en profite pour faire ronfler sa basse comme jamais. Le riff, vraiment original voire déroutant, aurait aussi pu figurer en bonne place sur un album des Clash!!
Night Of The Long Knives ou la nuit des longs couteaux: en 1934, Hitler fit exécuter son fidèle compagnon Ernst Röhm ainsi que l'état-major de ses sections d'assauts (S.A). Que vaut l'exaltation de valeurs saines telle que l'amitié indéfectible dans la bouche de personnes exécrables? Il est ici question de loyauté... et de contradictions. Morceau puissant, il reste un peu juste au niveau construction pour être l'hymne qui correspond à un tel refrain.
Successeur méritant du plus grand succès qui se puisse concevoir avec une telle musique,
For Those About to Rock souffrira d'un accueil assez tiède de la part des fans du groupe. Gros succès, même si les ventes du
Back in Black paraissent bien loin, ce disque dévoile un AC/DC qui tourne un peu le dos au Rock-Hard-Blues gouailleur des débuts. La nouvelle mouture paraît plus formatée Heavy et Rock U.S, moins agressive et incontestablement plus commerciale. Cette oeuvre, superproduction ouvragée et polie à l'extrême, reste à mon avis un poil mésestimée.
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