En ce début des années 60, la France du Général se réveille avec une furieuse envie de se gratter. La raison ? Une verrue. Une musique de sauvage, qui nous arrive de chez nos sauveurs, via la perfide
Albion ; le Rock'n'Roll, qu'ils appellent ça. Saleté de jeunesse.
Oh, rassurez-vous, ça ne va pas durer longtemps, ces singeries. Déjà, Boris Vian et Henri Salvador ont bien fait rire tout le monde en se moquant de ses godelureaux, et, en plus, en jouant de ce "Rock", comme ils disent. Mais le problème, c'est que Mlle Line Renaud, pourtant une chouette fille d'Armentières, a osé présenter à notre chaine de télévision nationale un voyou d'à peine 16 ans (saleté de jeunesse) qui s'est mis à hurler des insanités dans le poste en se déhanchant comme un damné. Et le pire, c'est que notre jeunesse (saleté de jeunesse), principalement nos filles, se sont mis à vénérer ce blanc-bec... Belge, en plus !
Alors, pour contrer cet affreux Jojo (
Johnny Hallyday, qu'il s'appelle, ce morveux, j'vous d'mande un peu, où qu'ils vont chercher des noms pareils, cette saleté de jeunesse !) la maison Barclay, va organiser la Résistance. Elle va aller chercher, en Angleterre, un gars qui a pour surnom
Vince Taylor, accompagné par un groupe qui s'appelle les Playboys, rien que ça !
Vince a déjà essayé de percer, aux States et en Angleterre où il a tourné avec
Gene Vincent et
Eddie Cochran, mais sans succès. Alors, quand Barclay débarque et lui propose de faire carrière en France, il n'hésite pas, il signe. On appelle ça "signer un pacte avec le Diable" ou " signer son arrêt de mort".
Vince Taylor débarque en France avec une gigantesque pancarte dans le dos. Le "
Elvis Presley" anglais, rien de moins. Plus un look soigneusement travaillé ; tout en cuir noir (comme
Gene Vincent), chaine autour du cou, moue arrogante, le parfait "Blouson Noir". Tremblez bonnes gens, le Mal est chez vous ! Face à Johnny et sa bonne bouille d'angelot blond, le choc est violent. Une bonne campagne de pub mensongère le présente comme un rival du King aux Etats-Unis, comme un voyou marginal et brutal, un bad boy prêt à faire craquer votre fille et à la laisser là, sur le bord du chemin, en pleurs, alors que lui s'enfuit dans un grand éclat de rire et un grondement de moto, la faisant passer pour une fille de mauvaise vie.
Pour contrer Hallyday (et par conséquent Philips), Barclay fait enregistrer à Taylor un 25 cm, format très courant en ce début de Sixties ; moins long qu'un 30 cm (ah bob ?), mais plus long qu'un 45 tours 4 titres (pas possible !), celui-ci comporte une dizaine de titres, que des reprises.
Chuck Berry, Cochran, Elvis, Johnny Burnette, tous les Grands sont là. Plus une reprise magistrale de Johnny Kidd, "Shakin' All Over", qui sent la perversité du Mal à plein nez. Et Vince s'en sort haut la main. Et oui, comme l'annonce pompeusement la pochette, le Rock c'est ça!
Ce 25 cm deviendra une légende. Et Vince aussi. Il faut dire que ce disque est fantastique. La reprise du "Twenty Flight Rock" de Cochran est fabuleuse, presque aussi bonne que l'originale, alors que la barre était déjà placée très haute. "
Sweet Little Sixteen" est une tuerie. Son groupe joue particulièrement bien, notamment Bobbie Clarke, son batteur, l'inventeur de la double grosse caisse (ou, tout au moins, son premier utilisateur). Tout est bon là-dedans. "Shakin' All Over" surpasse tout. Perverse, suintante, moite, animale.
Vince Taylor va défoncer
Johnny Hallyday.
Cet album n'aura aucun succès,
Vince Taylor ne sera jamais une star. Ou plutôt si, mais après sa mort, en Suisse, en 1991. On a raconté plein de choses sur Vince à cette époque-là : qu'il était devenu fou à la suite d'une prise de LSD massive, qu'il était devenu clochard dans le dénuement le plus total etc, etc... Rien de sûr, rien de vérifiable. La seule chose que l'on sait, c'est qu'un jour il a écrit "
Brand New Cadillac" et que les Clash l'ont repris. Et que "Shakin' All Over" restera à jamais une de mes chansons préférées.
HotRodFrancky
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