La dénomination « rock indépendant » en soi ne garantit rien, ni la qualité, ni même la certitude d’avoir affaire à une déclinaison bien identifiée du rock, puisque des groupes forts différents se retrouvent, au fil du temps, sous cette bannière. Pas de rapport évident, par exemple, entre
My Bloody Valentine en Irlande et
Nada Surf aux États-Unis, que l’on classe pourtant tous deux dans le rock indépendant, les premiers se situant d’abord dans la lignée de la tournure expérimentale prise par le punk rock que développe
Sonic Youth, les seconds ayant tout comme
Weezer des influences plus classiques allant du hard rock à la new wave.
Ceci dit, le shoegazing de
My Bloody Valentine, qui tend vers la particularité d’enfouir des voix mélodieuses sous des guitares bruyantes, contribue de manière significative à la tentation de reconnaître au rock indépendant une identité musicale propre, outre le fait de travailler, en principe, avec des labels indépendants. Le statut de chef de file de ce courant acquis par
My Bloody Valentine, notamment grâce à leur chef d’œuvre «
Loveless », est toujours le gage d’un effort conséquent envers les exigences de leur public et, avant tout, envers leurs propres exigences perfectionnistes.
Le fait d’avoir réuni leurs EPs dans une même compilation permet d’apprécier d’autant mieux, de façon rétrospective, la lente construction / déconstruction ayant abouti à cette pièce maîtresse qu’est «
Loveless ». Comme chez les Smiths ou, a fortiori, chez
Joy Division /
New Order, ce type de somme discographique entretient aussi l’intérêt que l’on peut avoir à comparer des versions différentes d’un même morceau (« Soon », « To Here Knows When »). C’est le propre de la compilation utile, qui n’est pas donnée à l’historique de toutes les formations, les artistes, en partie pour des raisons personnelles et en partie sous la contrainte de leur maison de disque, s’orientant généralement vers les formules moins risquées du greatest hits ou du best of.
En même temps, il n’est pas nécessaire de toujours se focaliser sur les particularités qui, entre 1988 et 1991, apparaîtraient d’une année à l’autre, car la progression de
My Bloody Valentine passe par des cycles et des contrastes. On peut donc prendre plaisir à parcourir cette compilation en s’attachant plutôt aux similitudes musicales entre certaines chansons, des plus atypiques aux plus décisives.
Adoptons, ainsi, pour point de départ la proximité singulière du folk dont témoignent « Don’t Ask Why » et « Swallow » (non loin, en termes d’état d’esprit, de « Cigarette in Your Bed », de « Drive It All Over Me ») qui, exhumant en quelque sorte le souvenir de
Nico et de ses accents imprégnés de calme et de tradition, nous livrent un aperçu discret de ce qu’aurait pu donner le répertoire du groupe avec juste une voix et une guitare sèche, laissant à notre imagination le soin de concevoir un « MTV Unplugged » qui n’a jamais eu lieu pour leur part, mais qui aurait pu voir le jour s’ils avaient été américains.
À l’autre extrémité de leur talent, l’emblématique «
You Made Me Realise » continue à s’affirmer, à travers le caractère brut de ses martèlements (polarité de la rythmique lourde, métallique, celle de «
Feed Me with Your Kiss ») et son harmonie indéniable mais comme traitée à coups de tronçonneuse, tel l’alter ego, après coup, d’ «
Only Shallow » sur «
Loveless » pour ce qui est de prétendre au rang de mascotte de leur talent immense.
Entre ces deux extrémités, toutes les combinaisons restent possibles, depuis l’austérité de Kevin Shields (« Slow », « Emptiness Inside », « I Need No
Trust ») jusqu’à l’érotisme de Bilinda Butcher («
Off Your Face », « Honey Power », « Angel »), combinaisons entre lesquelles s’évapore le registre plus psychédélique d’ « I
Believe » et de « Moon Song », sans oublier les instrumentaux, dont «
Glider », qui, via la mise en narration du bruit (contrairement au limpide « Instrumental no. 2 »), valorisent l’audace de la destruction créatrice, toujours sur le fil, à l’instar des paroles de «
You Made Me Realise » : « What did (you say you'd) find, then come, come, come, get the hell inside. You can close your eyes, well you might as well commit suicide ».
D. H. T.
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