Uriah Heep, à l'heure où j'écris ces lignes, c'est 40 millions d'albums vendus dans le monde entier, c'est un groupe qui va fêter ces quarante-six ans d'existence, mais c'est aussi une existence sur la route, avec des centaines de concerts à leur actif ;
Uriah Heep c'est une histoire, celle du Rock 'n' Roll tout simplement.
Après cette introduction pompeuse à souhait, place à un petit bout d'histoire. Pour cela, remontons jusqu'en 1967, à l'époque où un certain Michael Box, dit "Mick", jouait de la guitare dans un petit groupe local qui s'appelait The Stalkers. Rapidement, le chanteur d'origine quitte le groupe, et c'est le batteur qui eut la brillante idée d'appeler en renfort son cousin, David Garrick, à la voix haut-perchée si reconnaissable, qui décidera plus tard de changer son nom en David Byron. Mick et David s'entendent à merveille, mais le groupe peine à suivre, les autres musiciens n'ayant pas l'ambition de faire de la musique leur vie. Qu'il en soit ainsi, les deux compères dissolvent The Stalkers, et partent fonder
Spice début 1968. Le batteur Alex Napier est tout de suite recruté par la biais d'une petite annonce. Le bassiste Paul Newton complète le line-up, et le groupe peut enfin répéter et jouer ce qui n'était encore à l'époque que du rock classique teinté de psychédélisme.
Le groupe tourne au maximum dans le sud de l'Angleterre, dans des petits clubs, où il se fait peu à peu remarquer, suffisamment en tout cas pour être invité de nombreuses fois à jouer au célèbre Marquee Club londonien (où sont passés les Stones, Hendrix ou les Who). C'est là qu'ils font la rencontre de Gerry Bron, alors magnat de la production, qui devient leur manager, et qui leur propose un deal avec son label, Hit Records. De fil en aiguille, Hit créant un partenariat avec le géant Philips,
Spice se retrouve à devoir composer un album pour le label nouvellement créé par Philips, Vertigo Records. Alors que leur musique prend un tournant plus hargneux, Mick décide de se démarquer de ces autres groupes au succès fulgurants, comme celui arborant un dirigeable allemand sur ses pochettes, ou les bikers de
Steppenwolf, en intégrant un claviériste. Idée plus que judicieuse, puisque cela leur permit d'intégrer Ken Hensley, ancien de
The Gods, où figurait déjà Paul Newton.
Spice, sur une suggestion de leur manager, prend le nom de
Uriah Heep, qui est à l'origine celui d'un fort vilain personnage issu du roman David Copperfield de Charles Dickens dont le centième anniversaire de mort est célébré en cette année 1969. C'est là que commence donc réellement l'histoire de
Uriah Heep.
Encore quelques concerts, et le groupe entre au Lansdowne Studios, toujours sous l'égide de leur producteur/manager Gerry Bron. L'enregistrement se déroulera assez rapidement, même si le batteur Alex Napier dut quitter le navire et être remplacé sur deux morceaux par un certain Nigel "Ollie" Olsson, conseillé par
Elton John. L'album a une durée classique de quarante minutes, les huit titres équitablement répartis sur les deux faces, avec une reprise de Harry Belafonte, Come Away Melinda, et
Gypsy et Bird of Prey (qui sortira définitivement sur l'album suivant) en tant que singles. Quand on voit les moyens qui ont été mis pour ce premier album (merci Philips !), on a du mal à comprendre le choix de cette pochette hideuse, ainsi que du titre pour le moins curieux de l'album. Je ne suis pas sociologue pour savoir si ce fait a une des conséquences négatives sur la renommée potentielle du combo, mais toujours est-il que cela ne les a pas beaucoup aidé. De toute manière, à l'écoute de ce premier jet on réalise bien vite que le pari artistique de la musique est aussi audacieux pour l'époque que son visuel.
"I was only seventeen, I fell in love with a
Gypsy queen. She told me : Hold on !" Cette phrase, prononcée après un long et psychédélique riff d'introduction, reste indubitablement gravée dans les mémoires ; et pour cause, ce titre est devenu l'un des classiques du groupe. Dès ses débuts,
Uriah Heep tient à montrer ses différences avec cette scène qui émerge en Angleterre au même moment : ces thèmes lancinants et lourds sont l'expression d'un mélange habile entre l'héritage psychédélique de
Spice, et la volonté de rendre la musique plus agressive (sous l'influence probable du Zeppelin), le tout combiné à la voix angélique de David Byron, qui fut probablement une des raisons du succès du groupe.
Avec l'écart qui se creuse de plus en plus entre ce nouveau Rock et la musique Pop, on voit
Uriah Heep chercher à s'affranchir des carcans imposés par la Pop. Les morceaux dépassent pour la plupart les quatre minutes, et font parfois preuve d'une certaine recherche (légère tout de même) dans leur structure. Notons alors un Wake Up (Set Your Sights) qui se donne pour but de voir plus loin que la simple chanson alternant couplets et refrains, et dont l'inspiration pourrait très bien provenir de
King Crimson (dont le premier album est certes sorti peu de temps auparavant, mais dont le rayonnement pourrait très bien laisser penser qu'il y a eu inspiration). I'll Keep on Trying cherche plutôt ses sources du côté de la musique psychédélique, mais toujours dans l'optique d'expérimenter sur des terrains plus longs, avec cette alternance malsaine entre chœurs mélancoliques et riffs typés Hard Rock, pour finir sur un solo à la guitare acide rappelant le
Fuzz d'Hendrix.
Finalement, ce sont ces influences très variées qui montrent bien qu'il s'agit d'un album sorti au carrefour de plusieurs époques. On a donc des titres qui peuvent être considérés comme appartenant au passé par leur style (et qui d'ailleurs ne seront pas rejoués dans la discographie du groupe), tel que le sympathique Jazz-Rock Lucy Blues, ou le plus bluesy Come Away Melinda. Les influences de l'ère psychédélique se perdront aussi, le mouvement psychédélique commençant à perdre de l'influence de toute manière à cette époque-là. En revanche là où Heep se veut novateur, et le fut dans le sens où c'est cette direction qu'ils affirmeront, c'est sur des morceaux plus lourds du style de Real Turned On ou Dreammare, qui dévoilent déjà un joli potentiel, autant dans la composition que dans la technique pure. On notera aussi l'utilisation encore rare du mellotron (très coûteux à l'époque) par Ken Hensley, en plus de l'orgue.
Mais en réalité, malgré son apparente richesse et ses idées nouvelles pour l'époque, ce premier jet pâtit de ses propres choix artistiques. Le manque de style bien défini brouille les pistes pour l'auditeur, et certaines innovations paraissent donc inappropriées voire vulgaires en comparaison d'une expression plus classique et sobre. Trop d'idées sont confrontées sur ce disque, ou alors sont-elles mal organisées. On a l'impression d'un grand écart entre tous les styles joués à ce moment charnière de l'histoire du Rock. Les critiques ne tardèrent d'ailleurs pas à pleuvoir sur la bande à Box et Byron, un journaliste de Rolling Stone dit même dans une formule restée célèbre : "If this group makes it I'll have to commit suicide".
Pourtant cela contribuera à faire connaître le groupe, qui, une fois l'album pesé et emballé, partira dans des longues tournées, en compagnie notamment de
Deep Purple, Black Sabbath,
Gentle Giant ou encore Yes.
La suite de l'histoire, c'est que le batteur Ollie Olsson est rappelé auprès d'
Elton John dont le premier album commence à bien marcher aux States. Il est donc remplacé par Keith Baker, qui connaissait déjà Ken Hensley dans divers groupes en commun. La suite, c'est un label qui, malgré cet album pas au goût de tous, accepte de continuer l'aventure avec
Uriah Heep (l'industrie musicale était moins frileuse en ces temps-là). La suite, c'est aussi un concert à l'Alex Disco, dans la petite ville de
Salisbury, qui pourrait bien inspirer nos chers anglais pour plus tard ...
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