C'est un roman qui m'a énormément marqué, qui a marqué mon adolescence. Il m'a permis d'ouvrir les yeux sur certains points et de mettre des mots sur émotions.
Voici le résumer : "Adrien, jeune photographe, est fasciné par les lieux de commencement, ceux où, à ses yeux, l'histoire de l'humanité a basculé : le lac Tukana au Kenya, où s'est redressé celui qui, cessant d'appartenir au monde animal, allait inaugurer le règne de l'homme. Hisroshima, où celui-ci a découvert qu'il pouvait s'auto-détruire et annihiler l'univers. Cap Kennedy, enfin, d'où sont partis, en juillet 1969, trois Terriens qui allaient marcher, pour la première fois, sur un objet céleste qui ne s'appelait pas Terre.
Au moment d'embarquer pour ces trois lieux du monde, Adrien rencontre Miléna, une jeune comédienne d'origine tchèque, impulsive, tout entière dans l'immédiat.
Très vite, Milèna veut un enfant. Un autre commencement. Pour tous deux...
Mais l'enfant auquel pense Miléna sera-t-il le même que celui imaginé par Adrien ?"
Des extraits :
- J'ai pensé, pendant la nuit du nouvel an, qu'il faudrait à chaque début d'année régler ses dettes, jeter à la mer tous les objets devenus inutiles et relire sur un cahier la liste, notée tout au long de l'année, des mots incompris, pour se lancer avec la personne avec qui l'on vit, nos amis, ceux avec qui nous discourons, dans une longue explication, afin que les erreurs de sens de l'année précédente ne se répètent pas.
- Ça prendrait six mois par an, vous ne croyez pas ?
- Peut-être, mais la suite de la vie ne s'embourberait pas à chaque seconde davantage dans un détritus de mot opaques, où chacun a laissé une part de soi à jamais oubliée, recouverte du temps passé et des instants qui ne se retrouvent pas.- Vous voulez parler de ces mots des philosophes, épistémé, herméneutique, facultés cognitives, psyché, logos, dasein..
- Non, les mots du quotidien qui semblent à chacun d'une telle évidence que personne ne se donne la peine de les fendre, pour les déshabiller puis les déchiqueter, et que l'on en voie sortir le jus noir, à travers tout ce réseau de filets et d'écluses qui retenaient le flot premier. Nous croyons employer des mots du jour, alors que ce sont des mots de la nuit. Nous disons "des mots de tous les jours", alors qu'il faudrait dire, "des mots de toutes les nuits".
[...]
- regardez ce canal... Avant la gelée, c'était un canal d'eau fluide avec dans le fond plein d'objets inutiles, jetés là , obscurs. Et à présent , c'est l'hiver, et c'est toujours le même mot pour un canal gelé qui ne sert plus à conduire d'un endroit à un autre ... Et tous ces objets remontés aujourd'hui à la lumière du jour, enchâssés, n'étaient pas volontairement cachés, seule la pesanteur les avait fait descendre au fond... C'est cela qu'il faudrait manigancer avec les mots : les geler un instant pour que s'exhibent tous les résidus oubliés et que le quotidien a recouverts."_
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- Quand votre femme vous a dit "je t'aime" pour la première fois, que lui avez-vous répondu ?
- Moi aussi...
- Vous auriez dû lui demander tout ce que cela signifiait de part de sa vie, ses souvenirs, d'autres amours, les autres fois où elle avait prononcé cette phrase...
- Lui demander d'écrire un roman, en somme ...
- Ou alors, lui répondre comme dans cette chanson, vous vous souvenez, "je t'aime, moi non plus"...
- Elle aurait été vexée
- Elle aurait eu tort. Cela lui aurait indiqué seulement que vous l'aimiez sans doute, mais que ce mot avait pour vous une histoire différente, que cette phrase avait emporté avec elle d'autres objets que les siens, d'autres visages, d'autres douleurs, d'autres plaisir ...
- Vous être pour un dialogue du "moi non plus" ?
- Pas exactement, mais le "moi non plus" agirait comme un clignotant, indiquant à chaque fois que l'on ne parle pas forcément des mêmes choses, qu'il y a plein de résidus invisibles tombés au fond des mots, et qu'il s'agirait de les retrouver et d'en parler... Quand elle vous a dit qu'elle voulait un enfant, vous avez répondu "moi aussi"...
- ... Et j'aurais dû dire "moi non plus"... Je vous suis très bien ! Mais que de complications, de temps passé à expliquer ...
- C'est peut-être moins compliqué que de laisser les mots se réduire à leur sonorité, à leur apparence...
- ... Parfois c'est bien utile.
- Comme je vous l'ai dit, ils ne cachent rien, ils sont lumineux, c'est seulement votre histoire, vos déceptions, votre orgueil qui se sont enfouis au fond d'eux, sans jamais remonter à la surface ...
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- Tu ne dors pas ?
- Non, je n'dors pas... j'ai peur.
- De quoi ?
- De toi...
- C'est sans raison..
- Si, il y en a une.
- Laquelle ?
- Ce soir, je ne ressens pas la vie comme avant...
- C'est ta première de théâtre qui t’angoisse...
- Non, c'est ta première absence à toi qui m’angoisse.
- Mais je pars bientôt pour l'Afrique et .. il faudra bien s'habituer...
- Cette absence-là , c'est autre chose, c'est mon affaire ... Mais je ne veux plus de ce doute ...
- C'est dans ta tête qu'il est ce doute, demain, ce sera oublié...
- Non, ce ne sera pas oublié ... C'est comme les rides, ça reste marqué quelque part .. C'est seulement de les regarder qu'on oublie....
"Ici on parle pas de sa misère et encore moins de son courage" - Soldat Louis