Hubert-Félix Thiéfaine : Chroniques Bluesymentales
Las palabras
1. DEMAIN LES KIDS
Les charognards titubent au-dessus des couveuses
Et croassent de lugubres et funèbres berceuses
Kill the kid
Pendant que nos sorcières sanitaires et barbues
Centrifugent nos clones au fond de leurs cornues
Kill the kid
Dans les ruines de l'école où brûle un tableau noir
Une craie s'est brisée en écrivant espoir
Kill the kid
Déjà les mitrailleuses ont regagné leurs nids
Seule une mouche bourdonne sur la classe endormie
Kill the kid, kill the kid
Les guerriers de l'absurde et de l'enfer affrontent
Les délices de la mort sous le fer de la honte
Kill the kid
Beyrouth aéroport ou Mozambic city
Le sang des tout-petits coule aux surprises-parties
Kill the kid
Sacrifiez les enfants, fusillez les poètes
S'il vous faut tout ce sang pour animer vos têtes
Kill the kid
S'il vous faut tout ce sang pour jouir à vos fêtes
Sacrifiez les enfants, fusillez les poètes
Kill the kid, kill the kid, kill the kid
Quelque épave au regard usé par le délire
Poursuit dans sa folie le chant d'un enfant-lyre
Kill the kid
Et dans ses yeux squameux grouillant de noires visions
Le désir se transforme en essaim de scorpions
Kill the kid
Petite poupée brisée entre les mains salaces
De l'ordure ordinaire putride et dégueulasse
Kill the kid
Tu n'es plus que l'otage la prochaine victime
Sur l'autel écoeurant de l'horreur anonyme
Kill the kid, kill the kid
Sacrifiez les enfants, fusillez les poètes
S'il vous faut tout ce sang pour animer vos têtes
Kill the kid
S'il vous faut tout ce sang pour jouir à vos fêtes
Sacrifiez les enfants, fusillez les poètes
Kill the kid, kill the kid, kill the kid
Les charognards titubent au-dessus des couveuses
Et croassent de lugubres et funèbres berceuses
Kill the kid
Pendant qu'un Abraham ivre de sacrifices
Offre à son dieu vengeur les sanglots de son fils
Kill the kid
Mais l'ovule qui s'accroche au ventre de la femme
A déjà mis son casque et sorti son lance-flamme
Kill the kid
Attention monde adulte inutile et chagrin
Demain les kids en armes, demain les kids enfin
Demain les kids
2. POGO SUR LA DEADLINE
J't'ai connu par erreur aux heures des fins d'parties
Devant le souterrain où j'garais mon OVNI
Couché dans des renvois de bière et de bretzel
T'essayais de demander du feu à un teckel
Mais quand j't'ai vu marcher à côté de tes rangers
En pleine éclipse mentale et mouillant tes Pampers
J'ai sorti mes Kleenex et mon mercurochrome
Pour mettre un peu de couleur sur ta gueule de fantôme
Je m'souviens de ton rire hideux dans les couloirs
Tes mains de chimpanzé accrochées au comptoir
Et tes yeux révulsés contemplant le chaos
De ton crâne émoussé bouffé par ton ego
J'ai ressoudé ton jack, changé ton émetteur
Raccordé ton cerveau à l'égout collecteur
Réinjecté du fuel à travers tes circuits
Avant qu'tu remettes les bouts vers le bout de la nuit
Pogo sur la deadline
Rhapsodie cannibale
Requiem à gogo
Pour le repos
Du mal dans l'âme d'un animal
Qui retourne au niveau zéro
Je t'ai revu plus tard en pénible bavard
Quand tu polémiquais, Mickey des lupanars
J'étais mort en voyant la cour d'admirateurs
Qui venaient respirer tes ignobles vapeurs
Traînant ta charisma de canaille en bataille
Comme un wimpy moisi sur un épouvantail
Tu pouvais embuer la vision la plus saine
De ton haleine de hyène obscène et noire de haine
Pogo sur la deadline
Rhapsodie cannibale
Requiem à gogo
Pour le repos
Du mal dans l'âme d'un animal
Qui retourne au niveau zéro
Et puis tu as rompu avec tous les miroirs
Qui auraient pu t'émouvoir d'un éclair transitoire
Et t'es mort vieux cafard sans chercher d'alibi
Juste en puant du groin, du coeur et des branchies
Mais j'crois qu'tu t'es planté toi le brillant reptile
Sous ton masque visqueux de cloporte inutile
T'oubliais que les touristes ont besoin de craigneux
Pour se sentir moins seuls quand ils sont trop baveux
Pogo sur la deadline
Rhapsodie cannibale
Requiem à gogo
Pour le repos
Du mal dans l'âme d'un animal
Qui retourne au niveau zéro
3. UN AUTOMNE A TANGER (ANTINOUS NOSTALGIA)
Lui sous la pluie
D’un automne à Tanger
Lui qui poursuit
Son puzzle déglingué
Lui dans sa nuit
D’un automne à Tanger
Lui qui détruit
Son ombre inachevée
Nous venions du soleil
Comme des goélands
Les yeux fardés de ciel
Et la queue dans le vent
Mais nous nous sommes perdus
Sous le joug des terriens
Dans ses rades et ses rues
Réservés au pingouins
Lui sous la pluie
D’un automne à Tanger
Lui qui poursuit
Son puzzle déglingué
Les vagues mourraient blessées
A la marée sans lune
En venant féconder
Le ventre des lagunes
Et nos corps écorchés
S’immolaient en riant
Sous les embruns glacés
D’une chambre océan
Lui dans sa nuit
D'un automne à Tanger
Lui qui détruit
Son ombre inachevée
D'ivresse en arrogance
Je reste et je survis
Sans doute par élégance
Peut-être par courtoisie
Mais je devrais me cacher
Et parler à personne
Et ne plus fréquenter
Les miroirs autochtones
Lui sous la pluie
D'un automne à Tanger
Lui qui poursuit
Son puzzle déglingué
Lui dans sa nuit
D'un automne à Tanger
Lui qui détruit
Son ombre inachevée
4. CAMERA TERMINUS
Sous les porches moisis
Des cités englouties
La dernière ambulance
S'englue dans le silence
Enfin seuls
Odeurs gélatineuses
De chairs moites et lépreuses
Parfums de fièvre jaune
De cyanure et d'ozone
Enfin seuls
Nous sommes seuls
Dans le vent
Survivants
Mort-virus, terminus
Au pied des temples usés
Des statues délabrées
Le fleuve roule sa semence
Limoneuse et gluante
Enfin seuls
Silhouette vaporeuse
Dans la lumière cendreuse
Du matin-crépuscule
T'arraches mon ventricule
Enfin seuls
Nous sommes seuls
Dans le vent
Survivants
Mort-virus, terminus
Omnibus morbidus gaudeamus !
Enfin seuls
Sur cette planète qui grince
Dans le froid qui nous pince
Enfin seuls
Tu te rinces les méninges
En caressant mon singe
Enfin seuls
Jardins métalloïdes
Noyés de larmes acides
Où la Lune en scorpion
Fait danser ses démons
Enfin seuls
Amants conquistadors
Sur le terminator
Plus de voix qui déconnent
Au bout des taxiphones
Enfin seuls
5. 542 LUNES ET 7 JOURS ENVIRON
La Terre est un MacDo recouvert de ketchup
Où l'homo cannibale fait des gloupses et des beurps
Où les clowns en treillis font gémir la musique
Entre les staccatos des armes automatiques
J'y suis né d'une vidange de carter séminal
Dans le garage intime d'une fleur sentimentale
Quand j'ai ouvert les yeux la lumière vagabonde
Filait à 300.000 kilomètres à la seconde
J'ai failli me tirer mais j'ai fait bof areuh
J'suis qu'un intérimaire dans la continuité de l'espèce
Et coucou beuh !
542 lunes et 7 jours environ
Que je traîne ma carlingue dans ce siècle marron
542 lunes et 7 jours environ
Et tu vois mon amour j'suis toujours aussi con
Une fille dans chaque port et un porc qui sommeille
Dans chaque salaud qui rêve d'une crampette au soleil
Et les meufs ça couinait juteuses et parfumées
Dans le bleu carnaval des printemps cutanés
J'en ai connu des chaudes à la bouche animale
A g'nou dans les toilettes ou dans la sciure des stalles
Hélas pour mon malheur j'en ai connu des pires
Qui voulaient que j'leur cause en mourant d'un soupir
Et puis je t'ai connue mais j'vais pas trop charrier
Attendu que j'suis lâche et que ton flingue est chargé
Oh ma sweet yéyéyé sweet lady
542 lunes et 7 jours environ
Que je traîne ma carlingue dans ce siècle marron
542 lunes et 7 jours environ
Et tu vois mon amour j'suis toujours aussi con
La geisha funéraire s'tape des rassis crémeux
Chaque fois que j'raye un jour d'une croix sur mon pieu
Pourtant j'contrôle mes viandes, je surveille mes systoles
Et me tiens à l'écart des odeurs de formol
Mais un jour faut partir et finir aux enchères
Entre les gants stériles d'une soeur hospitalière
Et je me vois déjà guignol au p'tit matin
Traînant mon vieux flight-case dans le cimetière des chiens
Oh meine kleine Mutter mehr Licht !
542 lunes et 7 jours environ
Que je traîne ma carlingue dans ce siècle marron
542 lunes et 7 jours environ
Et tu vois mon amour j'suis toujours aussi con
6. ZOO ZUMAINS ZEBUS
Je regarde passer les zumains de ma rue
Un peu comme on reluque au zoo les zébus
Triés, normalisés, fonctionnels, uniformes
Avec leurs initiales gravées sur leurs condoms
Et je cherche un abri sur une étoile occulte
Afin d'me tricoter des oeillères en catgut
J'm'arracherais bien les yeux mais ce serait malveillance
Vu qu'j'ai déjà vendu mon cadavre à la science
Je n'ai pas la frite
Repasse me voir demain lady
Plus de mur à Berlin pour justifier ma honte
Quand je reviens bourré dans mes baskets en fonte
Et c'ui d'Jérusalem est trop loin du bistrot
Pour que j'm'y liquéfie en chagrin lacrymo
Mais loin de moi l'idée d'être irrévérencieux
Et d'flinguer les chimères qui rendent le monde heureux
Chacun sa religion, chacun son parachute
Et je mets mon foulard quand j'vais à la turlute
Je n'ai pas la frite
Repasse me voir demain lady
J'écoute la mode en boîte sur mon ghetto-blaster
Dans le joyeux ronron quotidien des horreurs
Pas la peine de s'en faire il suffit d'oublier
Demain je s'rai funky, rastaquouère et blindé
A part ça tout va bien comme dit Schopenhauer
Pendant la durée des travaux je reste ouvert
J'imaginerai sisyphe gonflé aux anabos
En train d'faire sa muscu dans la cage aux héros
Je n'ai pas la frite
Repasse me voir demain lady
7. PORTRAIT DE FEMME EN 1922
Je t'ai rencontrée une nuit
Au détour d'un chemin perdu
Qui ne conduisait nulle part
Où tu te tenais immobile
En équilibre sur un fil
Tendu au-dessus du hasard
Et lorsque je t'ai demandée
Qui tu étais, d'où tu venais
Tu m'as répondu d'un regard
Tu sais, je n'suis qu'effluve
Et je reviens d'ailleurs
Plus tard dans un coin de bistrot
Devant un billard électrique
Tu m'as montré ta déchirure
Tu m'as dit d'étranges paroles
Qui volaient comme des chauves-souris
Au milieu de ta chevelure
Elles me parlaient d'inconnu
De mystérieux chemins cachés
Qui montraient au-delà des murs
D'un ténébreux voyage
Tu cherches au-delà des frontières
Un miroir ou un coeur ouvert
Pour y projeter tes phantasmes
Sautant d'une plateforme d'autobus
Tu prends le premier train rapide
Pour Marseille ou pour Amsterdam
Juste une pièce dans un taxiphone
Mon tendre amour ne m'attends pas
Ce soir je ne rentrerai pas
Et tu reprends ta route
Ton ténébreux voyage
Un jour ou l'autre tu reviens
Un peu comme au sortir d'un rêve
Dans l'inconscience du matin
Les traits tirés par la fatigue
La tête creuse, le regard vide
Tu ne sais plus ce qui se passe
Et tu ne comprends plus
Tu ne comprends plus rien
Le temps de te refaire les yeux
De prendre un bain et de m'aimer
Tu repenses à d'autres visages
Noyée au fond d'un verre d'alcool
Tu me demandes une cigarette
Et me dis d'un air un peu vague
Mon tendre amour ne m'en veux pas
Tu sais je ne suis à personne
Demain il faut que je reparte
Et tu reprends ta route
Ton ténébreux voyage
8. MISTY DOG IN LOVE
Je te veux dans ma nuit
Je te veux dans mon brouillard
Je te veux dans ma pluie
Je te veux dans mon blizzard
Je te veux fauve et captive
Écartelée dans ma geôle
Je te veux chaude et lascive
Glamoureuse et sans contrôle
Je te veux sur ma route
Je te veux dans mes errances
Je te veux dans mes doutes
Je te veux dans mes silences
Je te veux en amazone
À cheval sur ma monture
Je te veux quand j'abandonne
Ma racine à ta blessure
Je te veux dans la spirale
De tes abîmes éclatants
Je te veux dans les annales
De ton féminin troublant
Je te veux dans le feu
Taciturne des étoiles
Je te veux dans le jeu
Des vagues où s'enfuient nos voiles
Je te veux vamp et rebelle
Bouillonnante et sans pudeur
Je te veux tendre et cruelle
Sur mon sexe et dans mon coeur
Je te veux dans l'opéra
Silencieux de mes planètes
Je te veux dans le magma
Où se déchire ma comète
Je te veux dans ma nuit
Je te veux dans mon brouillard
Je te veux dans ma pluie
Je te veux dans mon blizzard
Je te veux dans le sulfure
De mes galeries inconscientes
Je te veux dans l'or-azur
De mes envolées d'Atlante
Je te veux dans la lumière
De mes soleils suburbains
Je te veux dans la prière
Des dieux suppliant l'Humain
Je te veux dans ma nuit
Je te veux dans mon brouillard
Je te veux dans ma pluie
Je te veux dans mon blizzard
Je te veux fauve et captive
Écartelée dans ma geôle
Je te veux chaude et lascive
Entrouverte et sans contrôle
9. VILLES NATALES ET FRENCHITUDE
Clichés de poubelles renversées
Dans la neige au gris jaunissant
Où un vieux clébard estropié
R'niffle un tampon sanguinolant
Givré dans la nuit de Noël
Un clocher balbutie son glas
Pour ce pékin dans les ruelles
Qui semble émerger du trépas
Il vient s'arrêter sur la place
Pour zoomer quelques souvenirs
Fantômes étoilés de verglas
Qui se fissurent et se déchirent
Ici y avait un paradis
Où l'on volait nos carambars
Maint'nant y a plus rien mon zombi
Pas même un bordel ou un bar
Voici la crèche municipale
Sous son badigeon de cambouis
Où les générations foetales
Venaient s'initier à l'ennui
Cow-boys au colt 45
Dans la tendresse bleue des latrines
On était tous en manque d'indiens
Devant nos bols d'hémoglobine
Voici l'canal couvert de glace
Où l'on conserve les noyés
Et là c'est juste la grimace
D'un matou sénile et pelé
Mais ses yeux sont tellement zarbis
Et son agonie si tranquille
Que même les greffiers par ici
Donnent l'impression d'être en exil
Voici la statue du grand homme
Sous le spectre des marronniers
Où l'on croqua la première pomme
D'une quelconque vipère en acné
Et voici les murs du lycée
Où t'as vomi toutes tes quatre heures
En essayant d'imaginer
Un truc pour t'arracher le coeur
Mais t'as jamais vu les visages
De tes compagnons d'écurie
T'étais déjà dans les nuages
A l'autre bout des galaxies
Trop longtemps zoné dans ce bled
A compter les minutes qui tombent
A crucifier de fausses barmaids
Sur les murs glacés de leurs tombes
Un camion passe sur la rocade
Et le vent du Nord se réveille
Mais faut pas rêver d'une tornade
Ici les jours sont tous pareils
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