«
Larks' Tongues in Aspic» est synonyme de changement pour
King Crimson. On s'en rend déjà compte en regardant le line-up de l'album :
Robert Fripp a viré tous ceux qui avaient collaboré avec lui dans le groupe jusqu'à présent, et va recruter un line-up qui, pour la première fois depuis les débuts du groupe, va rester relativement stable le temps de 3 albums, soit de 1972 à 1974 : concrètement, le groupe sera composé d'un noyau stable (
Robert Fripp à la guitare;
John Wetton à la basse et au chant; et
Bill Bruford à la batterie, qui officiait précédemment dans
Yes ) auquel se rajoute le temps de cet album David
Cross au violon et Jamie Muir aux percussions. Autre point important, la prise d'importance des morceaux instrumentaux :
Robert Fripp a enfin compris que le groupe excellait dans ce genre de morceaux, et ils sont ici au nombre de 3, pour 6 morceaux au total sur l'album.
Enfin, et c'est le point le plus important, le changement de style : si jusqu'à présent,
King Crimson officiait dans un Rock Symphonique avec forte présence de mellotron (pour faire simple), sur cet album, le groupe développe une violence latente qui tient plus du futur Metal Progressif que du Rock des années 70 : la guitare de Fripp devient plus acérée et acide que jamais, et ces riffs sont autant de coups de griffes qui nous sont adressés ; quant au violon de
Cross, il est littéralement possédé par un démon, et mystique. Autant dire qu'en 1973, à l'époque où le Metal n'était encore qu'un simple dérivé du Hard Rock et non un genre à part entière, une telle violence avait rarement été entendue auparavant. Mais parallèlement à cela, l'apport de Jamie Muir aux percussions donnent également un côté «World Music» et Jazz Fusion à l'album. Et comme l'illustre la pochette, les instants de violence (la lune) sont contrebalancés par des morceaux plus calmes et oniriques (le soleil). Pour résumer très rapidement, on pourrait dire que les instrumentaux sont violents, et les chansons calmes.
Bref, «
Larks' Tongues in Aspic » est un albums riche en contrastes. Et cela s'entend tout particulièrement sur la première partie de la pièce éponyme qui ouvre l'album. Après 3 minutes d'introduction aux percussions qui rappellent l'Orient, et l'arrivée du violon de
Cross, Fripp lance un riff purement incisif et violent, d'une rare excellence. Le genre de riff que l'on retient dès sa première écoute. Puis le morceau devient chaotique, guitare, basse et percussions formant un dialogue éprouvant (mais excellent) pour l'auditeur. Et soudain, tout se calme. Ne reste que le violon qui occupe alors tout le reste du morceau. Cette partie se démarque de la précédente, en étant bien plus calme. En résumé, «Larks' Tongies in Aspic Part 1» est un chef d'oeuvre, qui joue magnifiquement bien des contrastes pour former une toile riche où seule la tension semble être le fil conducteur. Quant aux autres instrumentaux, ils atteignent le même niveau d'excellence. « The Talking Drum » est un morceau hypnotique malfaisant aux fortes influences moyenne-orientales, où Fripp illustre parfaitement bien son son de guitare acide et dérangeant; quant à « Larks Tongues in Aspic Part 2 », il s'agit d'un morceau torturé qui s'inspire du «Sacre du Printemps» d'Igor Stravinsky, avec notamment un riff de guitare excellent (encore une fois) et un solo de violon vraiment malsain ; un contraste saisissant entre passages « Rock », d'autres qui me font penser à une valse, et d'autres violents et maléfiques.
Et les chansons dans tout ça ? Et bien, même si elles sont inférieures aux instrumentaux (la faute notamment à Wetton, qui a encore des progrès à faire au niveau chant, même s'il chante déjà bien), elles restent bonnes. «Book of Saturday» est un morceau à l'ambiance onirique, plutôt bien chanté par Wetton; «Exiles» est une pièce essentiellement jouée à la guitare classique et au violon d'une tristesse et d'une mélancolie sublime, dans laquelle les défauts du chant de Wetton sont bien utilisés de manière à exprimer la faiblesse et dans laquelle Fripp nous livre un très beau solo (la preuve que son son acide de guitare peut servir à autre chose qu'à exprimer la violence). Malgré tout, l'intro du morceau (basée sur des bruits divers et variés) est trop longue, et ne sert pas le morceau. Quant à «Easy Money», il s'agit d'un morceau assez sympathique,avec un bon refrain, mais dont le break instrumental est trop long, sans être vraiment mauvais.
«
Larks' Tongues in Aspic » n'est pas un album parfait : le chant est parfois limite, certains passages sont trop longs, et d'autres ne servent pas les chansons. Mais ces faibles défauts sont tous balayés par le génie des instrumentaux et de la chanson «Exiles» (l'intro en moins),la qualité des autres morceaux, la maîtrise de
Robert Fripp (un guitariste unique dans le Rock au sens général du terme) et de David
Cross, et le travail hallucinant de Jamie Muir aux percussions. Bref, de par toutes ses qualités et malgré ses défauts, «
Larks' Tongues in Aspic » est un vrai chef-d'œuvre. A l'écoute de cet album, on ne peut que s'incliner devant le génie de
King Crimson, un groupe décidément pas comme les autres.
Quant à moi, cet album me laisse perplexe : j'aime bien, mais curieusement ce n'est pas l'album de King Crimson que j'ai spontanément envie d'écouter. "Easy Money" est en revanche un titre que j'apprécie pas mal, mais je en suis pas d'accord avec toi, il n'est pas "calme", et plutôt agressif.
Belle chronique sinon !
Quant à "Easy Money", il n'est pas assez agressif pour être rangé dans cette catégorie. Mais comme je l'ai dit au début, il s'agit d'une simplification , pour que le lecteur (et peut-être futur auditeur ^^ ) puisse mieux comprendre le contenu du CD.
En revanche, je trouve que Easy Money est un gros coup de mou sur le disque.
Je place Starless and Bible black au même niveau, et Red un tout petit poil en dessous. Ce groupe était très très grand et visionnaire.
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